« Taxi » au festival Shadows : les confidences du Pékinois moyen

Publié le par brigitteduzan

« Taxi », c’est le Pékinois moyen vu par le petit bout de la lorgnette. Je m’étais dit que je n’écrirais rien sur ce petit documentaire sans prétention, que je le laisserais sombrer dans l’oubli dans lequel il sombrera sans doute de toute façon. L’idée de départ est toute simple : si vous voulez savoir ce que pensent les Français, vous interrogez ma mère, si vous voulez savoir ce que pensent les Pékinois, vous prenez un taxi, c’est bien connu, on se demande pourquoi on fait des sondages d’opinion. Donc on met une caméra au fond d’un taxi pékinois et on filme.

 

Méfiance initiale de rigueur.

 

Mais finalement, le résultat est un peu comme « Les caractères » de La Bruyère, version mandarin concoctée par un Chinois qui ne saurait pas écrire – ou, disons, qui n’aurait pas de stylo, juste une caméra. Et ce d’autant plus que la caméra ne filme que l’arrière des crânes, jamais les visages ; défilent donc des personnages anonymes qui deviennent iconiques.

 

Il y a la midinette qui vient de faire ses courses et déclare ne pas même penser une seconde prendre le bus, impossible, le bus (image d’un bus bondé qui passe, visages en sueur aux fenêtres ouvertes) ; ceci dit, elle ne peut pas toujours se payer un taxi, alors elle va dans la voiture d’une copine, parce que conduire à Pékin, faudrait être fou, et en plus le prix des parkings est devenu vraiment trop cher ; il y a le chrétien fervent qui va à la messe, la bible à la main (tiens, tiens, autre petit livre rouge), qui dit qu’il est aussi membre du Parti, ah ? ça va ensemble, les deux ? s’exclame le chauffeur interloqué, oh oui, maintenant c’est tout à fait ok ; il y a la grand-mère qui vient de chercher son petit-fils à l’école, son fils la paie pour ça, c’est mieux que de payer une étrangère, non ? ; il y a même l’obsédé sexuel (là, je ne suis pas sûre qu’il y ait çà chez La Bruyère, mais bon, c’était une image) qui fait tous les quartiers jaunes pour chercher une prostituée, génial, dit le chauffeur, vous avez de la veine, j’aimerais bien faire comme vous, la seule chose, c’est que je n’ai pas les moyens…

 

Parce que l’argent, c’est, de toute évidence, le principal sujet de préoccupation, la condition première du bonheur. Et cela se décline sous une multitude de formes. Il y a le genre bureaucrate qui vous dit : j’ai calculé qu’il me faut 4000 yuan par mois, mille pour mes parents (vous noterez, les parents en premier), mille pour ma femme, mille pour mon fils et  mille pour moi ; malheureusement je n’arrive péniblement qu’à deux ou trois mille, alors c’est la galère. Il y a le genre donneur de conseils : si vous avez des problèmes d’argent, votre ménage est mal parti, vous allez vous disputer constamment à cause de ça et vous finirez par divorcer, c’est toujours comme ça. Il y a la divorcée, justement, qui dit que, dans un ménage, il y en a toujours un qui ne fout rien, et  l’autre qui l’entretient, alors évidemment…

 

Evidemment, la vie n’est pas drôle, dit le chauffeur, 很麻烦 hěn máfan,et ça, en chinois, c’est le pire qu’on puisse imaginer. Alors, continue-t-il, il y aurait deux solutions, se suicider ou se faire moine, mais c’est impossible parce qu’il faut élever son fils. Parce que, s’il y a une chose importante dans la vie, c’est la famille, le fils mais surtout les parents. Comme le dit un client : « Je peux trouver une autre femme, mais je n’ai que deux parents. » Evidemment, tout le monde ne prend pas le taxi, les travailleurs migrants par exemple. Donc la vision est un peu biaisée, mais elle est sans doute assez réaliste.

 

Le film est construit en courtes scènes liées par des images de Pékin, celui qu’on connaît trop (tiens la muraille Ming, tiens le nid d’oiseau, tiens …) et celui qu’on connaît moins, la foule anonyme à pied, à vélo, en bus.. et en voiture, beaucoup en voiture. Comme le chauffeur a un bagout increvable, la conversation ne faiblit pas un instant ; on ne s’ennuie pas. Ou pratiquement pas. On a l’impression d’avoir fait une longue course en taxi à Pékin, un jour d’hiver ; on est tout étonné en sortant de ne pas se retrouver dans le vent de sable qu’annonçait la météo à la radio.

 

Pour le titre et le nom du réalisateur, ne cherchez pas les caractères, il n’y en a pas. Le film s’appelle TAXI, et le réalisateur s’appelle FAN JIAN. Cela fait un générique très sobre, très clean. Il a dû se dire, FAN JIAN, qu’il n’y aurait guère que trois pelés et peut-être quelques tondus, à l’étranger, pour aller voir son film dans un festival du genre Shadows, donc pas la peine de s’ennuyer à mettre les caractères. D’ailleurs, regardez un taxi à Pékin, qu’est-ce que vous voyez, allumé au-dessus du pare-brise ?  TAXI

 



Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
T
thesis writing servicesI really like your modern fashionable ideas which you have shared about designing.. This blog provide exceptional and exact information for which I was searching..
Répondre