« Crime and punishment » de Zhao Liang : l’ordre règne au Liaoning...

Publié le par brigitteduzan

(festival Shadows, 16 octobre 2008)

 

Nous sommes quelque part à la frontière chinoise avec la Corée, une région que connaît bien le réalisateur puisqu’il y est né et y a passé son enfance. Dans le poste de garde frontalière d’une petite localité, trois hommes sont occupés à plier leur couette : travail minutieux qui s’éternise et en dit long, dès l’abord, sur la vie de ces jeunes soldats dans ce coin perdu. Dehors, c’est l’hiver, le paysage est pris sous une mince couche de neige, on sent le froid vous pénétrer jusqu’aux os. Seul bruit : les gémissements de deux chiens, attachés à une corde trop courte, dans un réduit dont on a laissé la porte ouverte.

 

Ces soldats ont pour mission le maintien de l’ordre dans cette localité. « « Ils sont confrontés à des petits malfaiteurs qui feintent avec la loi, tentent de marchander leurs punitions et de faire plier les militaires en leur faveur » nous dit la présentation du film sur le site du festival Shadows. Des petits malfaiteurs ? Le terme est trompeur. En fait, il s’agit de pauvres diables qui tentent de survivre. Le film est un constat terrible de la misère autant morale que physique dans ce coin reculé qui semble subsister en marge du système.

 

Le premier pauvre bougre appréhendé est un ivrogne qui a des hallucinations et voit des bombes ou des cadavres dans les couvertures quand il a trop bu. La ronde se poursuit dans un appartement où des gens sont suspectés de jouer au mahjong. Le troisième larron est soupçonné d’avoir volé un téléphone portable au marché ; il est questionné, interminablement, et répond par des gargarismes incompréhensibles ; on se rend compte au bout d’un certain temps qu’il est sourd muet : relâché sans preuve.

 

Ce sont les deux cas suivants qui forment le corps du film et en sont le plus réussi : jusqu’ici, le rythme est d’une lenteur quasiment insupportable, en particulier la séquence du sourd muet où la caméra s’attarde tellement longtemps sur ce malheureux debout, là, sans bouger, à distance respectable du mur, dans le plus profond silence, qu’on a l’impression que le cameraman est allé fumer une cigarette en oubliant sa caméra branchée.

 

Le suivant est un vieil homme appréhendé dans la rue ; il est entouré de cartons et d’objets divers qu’il collecte pour vivre ; on dirait le trottoir devant chez moi le jour des encombrants. Il est emmené au poste pour la bonne raison qu’il n’a pas de licence en règle. Une licence ? On croit rêver. On a lu que les taxes agricoles ont été supprimées en Chine, cela fait déjà huit ans, si je ne me trompe ; mais il y a les licences. Et ce n’est pas facile de les obtenir, semble-t-il, entre le bureau du commerce et le poste de police qui n’ont rien à voir, mais prélèvent leur tribut chacun de leur côté. Les soldats, cependant, sont fermes : c’est la loi, il pourra continuer sa collecte des détritus quand il sera en règle. D’ici là il peut rentrer chez lui. Il ne bouge pas. La caméra s’attarde sur son visage, cette fois-ci on est captivé par ce regard perdu dont pas un cil ne bouge, on attend…  Alors il explique qu’il ne peut pas rester sans rien faire, comme ça, il dépend de sa collecte pour vivre, il ne peut plus travailler dans les champs à son âge. Rien à faire, disent les soldats, il faut être en règle. Alors il part… et recommence sa collecte dès qu’il a tourné le coin de la rue. Un malfaiteur ? Une victime plutôt.

 

Et des victimes, on se doute qu’il y en a à la pelle, dans ce coin glacé au bout du monde. L’autre exemple que nous donne Zhao Liang dans la séquence suivante est un paysan fauché qui est allé voler du bois dans la forêt pour le revendre au marché. Il dit qu’il n’a gagné que 4000 yuans, cette année ; maintenant, en hiver, il ne peut pas travailler la terre, tout est gelé, mais il doit payer l’école de son fils. Il vit sur les économies de ses parents. « Encore heureux qu’ils aient des économies », dit l’un des soldats. Finalement, comme ils l’ont battu (1), que ça se voit et que sa femme se plaint, de peur de poursuites, ils transigent sur une amende de seulement …300 yuans. Le film ne dit pas comment il va payer ; on peut parier qu’il va refaire un petit tour dans la forêt…

 

Le film a la longueur et la lenteur de cette vie sans espoir, où chaque jour n’apporte qu’un lot de soucis, le principal étant d’arriver à trouver les moyens de survivre. L’atmosphère pesante atteint aussi ces jeunes soldats au bord de la déprime, également victimes du système : ceux qui ne réussissent pas à intégrer le stage de formation, clé de toute promotion, sont laissés sur la touche ; ils n’ont plus qu’à rejoindre la vie civile, et le monde des exclus, probablement un jour appréhendés à leur tour, pour avoir enfreint un loi ou une autre.

 

« Crime and punishment » se termine par la mise à mort du chien qui n’en finissait pas de hurler au bout de sa corde. Il est tué froidement, d’un coup de couteau dans le ventre. Pourquoi ?  Crime ou punition ?

 

Un mot sur le réalisateur

 

« Crime and punishment » (罪与罚) est le cinquième film de  Zhao Liang (赵亮), artiste multidisciplinaire, né en 1971 à Dandong, dans l’est du Liaoning. Passionné de photographie, il a commencé ses études à la Luxun Academy of Fine Arts, à Shenyang, avant d’entrer à l’Académie du film de Beijing, section photo. Ses photographies, vidéos et installations et documentaires portent un regard sans complaisance sur les bas-fonds de la société ; mais, s’il veut choquer, c’est pour mieux dénoncer les injustices sociales dont il rend compte.

 

Son deuxième documentaire, en 2001 : « Paper Plane » (纸飞机) était un documentaire très sombre sur une communauté de drogués de la banlieue de Beijing, des jeunes dont l’existence est dictée par un impératif essentiel : gagner l’argent nécessaire à l’achat de leur dose journalière. Ce sont des vies misérables dans des appartements miteux, sous la menace constante d’une descente de police, toute tentative de sortir de l’emprise de la drogue étant fatalement vouée à l’échec parce qu’ils n’ont pas les moyens de se payer les traitements nécessaires. Quand il leur arrive d’être hospitalisés après une arrestation par la police, ils rechutent quand ils sortent, d’où le titre du film, suggéré par l’un de ces jeunes : on est comme un avion de papier qui vole un instant avant de retomber…

 

« Crime and punishment », sorti en 2007,  a déjà été remarqué dans un certain nombre de festivals dont celui de Locarno en 2007. Il confirme un style très personnel, traitant d’une manière qui se veut neutre des sujets tirés de la vie quotidienne de secteurs marginaux de la société chinoise, des laissés pour compte de la course au développement. Zhao Liang colle au plus près de la réalité qu’il filme ; mais cela donne des séquences d’une extrême lenteur,  avec beaucoup de longueurs très pesantes qui ne se justifient peut-être pas entièrement dans tous les cas.

 

Note

 (1) On est étonné que Zhao Liang ait pu tourner certaines scènes où l’on voit effectivement les soldats maltraiter les personnes appréhendées pour tenter de les faire parler. Une scène suggère même que l’une d’entre elles est emmenée dans une autre pièce pour y subir un traitement encore plus brutal. Dans un cas, mais un cas seulement, on entend clairement l’ordre de couper …



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A
Un film impressionnant - dont la seule première scène suffit à capter l'attention tant elle laisse entrevoir la lourdeur d'un système qui effectivement n'a d'autres considération que la stricte application de règles non-sensiques. Un très beau documentaire dont on peut effectivement se demander comment il a pu voir le jour tant certaines scènes pourraient valoir à leur auteur de ne plus pouvoir toucher une caméra pendant un temps certain.
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