Le renouveau du film danimation chinois (suite) : The new book of mountains and seas de Qiu Anxiong
Festival Shadows, 11 et 16 octobre 2008
Si les techniques traditionnelles du film danimation chinois telles quelles ont été développées au Studio danimation de Shanghai par Te Wei et ses collègues sont aujourdhui peu ou prou délaissées, elles sont en fait en train de renaître sous une autre forme. Sun Xun en est un exemple (1), Qiu Anxiong en est un autre. Il est significatif quil se soit installé à Shanghai, Sun Xun, lui, étant à deux pas, à Hangzhou.
Qiu Anxiong (邱黯雄) est né à Chengdu, dans le Sichuan, en 1972. Après avoir fait des études de peinture à lAcadémie des Beaux-Arts du Sichuan (lune des premières en Chine à enseigner la peinture davant-garde occidentale), il partit étudier en 1998 à luniversité de Kassel, en Allemagne. Il y resta six ans et cette expérience modifia sa vision artistique : jusque là orienté vers les modèles occidentaux, il se tourna vers la culture chinoise, approfondissant les textes classiques, la poésie et les contes fantastiques, tout autant que le bouddhisme et le confucianisme. En même temps, il se perfectionna dans les techniques de peinture héritées des vieux maîtres chinois, signant des uvres reflétant quiétude et détachement.
Cest en 2004 quil revint en Chine, sinstalla à Shanghai, où il enseigne, et commença à sintéresser à la vidéo, quil avait jusque là méprisée. Mais il insuffla à ce nouveau media les raffinements de la peinture traditionnelle chinoise, donnant à ses uvres une touche personnelle dune infinie subtilité, si bien quelles se lisent comme de véritables tableaux. Avec sa première animation en 2005 (2), « In the sky », apparaissent les préoccupations qui caractérisent les uvres suivantes : cest une vision lyrique des conséquences de la croissance et du processus dramatique que représente lurbanisation. Qiu Anxiong y a mis au point sa technique particulière : une peinture à lacrylique sur un support unique, les images étant modifiées lune après lautre, filmées en numérique puis animées par ordinateur.
« The new book of mountains and seas » (《新山海经》), réalisé en 2006 et présenté à la Biennale de Shanghai, est le fruit de ce parcours original. Il représente un travail de six mois, et la réalisation de quelque six mille images dessinées la nuit, sur une minuscule table de lappartement de Qiu Anxiong, qui travaille seul. « Jy ai presque laissé la peau, a-t-il avoué, il y a des nuits où je nai dormi que deux ou trois heures ». Le résultat est fascinant.
Le titre fait référence à lun des grands classiques de la littérature chinoise, le Shanhaijing, vaste recueil danciennes données géographiques et de légendes diverses qui na pas cessé de nourrir limaginaire chinois (4).
De même que ce
Le film retrace les « progrès » de lurbanisation et de lindustrialisation, culminant dans une image apocalyptique de lunivers qui est le nôtre, avec tout un bestiaire monstrueux basé sur les descriptions du Shanhaijing (3) mais traité de manière à en faire des représentations allégoriques du monde moderne : des derricks à tête de chien, des tortues mutantes qui ne nourrissent dessence, des scorpions émetteurs de signaux radio, des chars à trompe déléphant, de grands oiseaux noirs comme des mollahs surgissant du désert et se transformant en bombardiers Toute lhistoire, ancienne et récente, se déroule sous nos yeux, jusquà « lincident du 9/11 », pour reprendre une terminologie chinoise, et linvasion de lIrak. Au final survit une frêle silhouette noire sur un champ de cendres
Le film est tout à fait en ligne avec les préoccupations environnementales qui sont en train démerger en Chine dans la sphère politique. Dun point de vue purement esthétique, en outre, cest une splendeur ; les premières images, en particulier, celle du monde primordial avant urbanisation, sont dune grande beauté, dans la plus pure tradition du shanshui (la peinture de paysage classique). Dailleurs, Qiu Anxiong, comme Sun Xun, est un artiste aux multiples facettes aujourdhui recherché des grands collectionneurs.
Toute description, cependant, reste pauvre ; comme le film circule sur internet, il vaut mieux regarder ce qui nest dailleurs encore que la première partie de luvre dans sa totalité :
http://www.artzinechina.com/events/QiuAnXiong/
Pas de doute : le film danimation chinois est en train de retrouver la qualité technique et picturale et la diversité de style qui était la force des promoteurs du genre ; il a de beaux jours devant lui.
Notes
(1) Voir article précédent du 20 octobre 2008.
(2) Ce nest pas son premier film. Il a auparavant, cette même année 2005, réalisé un petit film intitulé « Jiangnan Poem » qui nest pas vraiment animé : cest une suite dimages de branches darbres que traverse de temps à autre le vol rapide dun oiseau. Le générique final na pour toute indication que « Vent, nuage, arbre, oiseau ». Cest une méditation paisible.
(3) Le « Livre des montagnes et des mers » (《山海经》) lun des grands classiques chinois, édité pour la première fois sous les Han occidentaux, au premier siècle avant Jésus-Christ, par Liu Xiang (刘香) et son fils Liu Xin (刘歆) ; daprès eux, le livre aurait été rédigé par Yu le Grand (大禹) et son assistant Bo Yi (伯益), ce qui le ferait remonter à une période mythique, vers le 23ème siècle avant Jésus-Christ. Cette prétention a une certaine logique, vu quil sagit en grande partie dun recueil de données géographiques et que Yu le Grand, fondateur présumé de la dynastie des Xia, est associé à l
Mais le Shanhaijing nest pas seulement une compilation de rapports géographiques, cest aussi la source principale des mythes et légendes chinois, aussi bien quun recueil de rituels, notions médicales, histoire naturelle et données sur les peuples de lantiquité chinoise du 3ème siècle avant Jésus-Christ au 2ème siècle de notre ère. Cest donc un ouvrage extrêmement hétérogène, mais construit de manière très rigoureuse : les dix-huit chapitres qui le composent sont divisés en cinq chapitres sur les montagnes (ses quatre points cardinaux plus le centre), quatre sur les régions 海外 (au-delà des mers), cinq sur les régions 海內, cest-à-dire la Chine intérieure, plus quatre sur les régions sauvages (大荒).
Ce caractère hétérogène, et, il faut bien le dire, passablement folklorique, fait quil a toujours posé un problème de classement. Ses premiers éditeurs le considéraient comme un livre de géographie. Sous les Han postérieurs, il fut classé avec les ouvrages techniques ; il fut alors inclus dans les ouvrages de référence offerts par lempereur Mingdi 明帝(58-75) au ministre chargé de la lutte contre les inondations. Il resta considéré comme un ouvrage géographique sérieux sous les Sui et les Tang, mais, sous les Ming, il fut brusquement rangé avec les recueils dhistoires fantastiques. Dans le Sikuquanshu (《四库全书》), limmense encyclopédie commandée par lempereur Qianlong des Qing (terminée en 1782), il est rangé dans les fictions. Il devint alors lobjet dun intérêt purement littéraire, et surtout pour les légendes quil relate (Nüwa répare le ciel brisé, Larcher Yi abat les neuf soleils, Change senvole dans la lune, par exemple). Cest un document essentiel pour létude des mythes chinois.
Des savants se sont de nos jours penchés sur ce livre pour en étudier en particulier les descriptions géographiques : il semblerait quelles ne sont pas si fantaisistes quil y paraît, mais représentent en fait la région autour de Xian, au Shaanxi, telle quelle était il y a quatre ou cinq mille ans
Quoi quil en soit, le Shanhaijing reste essentiellement un livre
(4) Exemple tiré du premier chapitre intitulé « Les montagnes du sud » (traduit par mes soins) :
又西北三百五十里,曰玉山,是西王母所居也。西王母其狀如人,豹尾虎齒而善嘯,[..]是司天之厲及五殘。有獸焉,其狀如犬而豹文,其角如牛,其名曰狡,其音如吠犬,見則其國大穰。有鳥焉,其裝如翟而赤,[..]是食魚,其音如錄,見則其國大水。
« .. A 350 li au nord-ouest, il y a la montagne dite de Jade (玉山) : cest là que réside la Reine Mère de lOuest (西王母 Xiwangmu). Elle a lapparence dun homme, mais une queue de léopard et les crocs dune tigresse et sy entend comme personne dans lart de siffler [..]. Cest elle qui gouverne les fléaux du ciel (天之厉) et les cinq forces destructrices (五残). Il y a là un animal qui ressemble à un chien, mais qui a les taches dun léopard et les cornes dun buf, et quon appelle le Malin (狡) ; il aboie comme un chien et son apparition est le présage de récoltes abondantes dans le pays. Sur le mont de Jade, il y a un oiseau qui ressemble à un faisan mais qui est rouge écarlate [..] ; il se nourrit de poisson et fait le bruit du bois que lon grave ; son apparition annonce des inondations . »