« Les guerriers de l’empire céleste » de He Ping

Publié le par brigitteduzan

(Centre culturel de Chine à Paris, samedi 3 octobre 2008 – annoncé sous le titre « Les guerriers du ciel et de la terre », traduction plus proche du titre original chinois 《天地英雄》)

 

He Ping (何平), né en 1957, est un vétéran du cinéma chinois, membre de la fameuse cinquième génération (1). Ses trois premiers films ont été salués tant par la critique que par le public, en Chine comme à l’étranger, surtout deux d’entre eux : 双旗镇刀客, « Swordsman in double flag town » (1991) et 《炮打双灯》, « Red Firecracker, Green Firecracker » (1994).

 

Le premier a, en son temps, établi la réputation du réalisateur comme promoteur d’un genre nouveau : une sorte de western à la chinoise mêlant des éléments de wuxiapian et de films historiques, très prisés du public chinois. L’histoire est celle d’un jeune homme, Haige, qui, pour honorer la promesse faite à son père mourant, se rend au village dit « du double drapeau » - un superbe village en plein désert - pour y chercher la jeune fille qui lui a été promise dès l’enfance. Quand il arrive, l’air innocent et peu assuré, il provoque un certain mépris, en particulier du père de la jeune fille qui l’invite cependant à rester travailler dans son restaurant. Mais, lorsque Haige tue un homme qui tentait de violer sa fiancée, il se rend compte que la technique de combat que lui a apprise son père fait de lui un adversaire redoutable. En même temps, pour assurer sa sécurité et celle de sa fiancée, il doit affronter un gang de criminels qui terrorise le village.

 

La référence à Kurosawa et à ses « Sept samouraïs » est immédiate, mais le film est bourré d’autres références, à Tsui Hark et à Wong Kar-wai pour le côté chinois, Sergio Leone et les westerns dits spaghetti côté occidental. Les combats utilisent très peu de techniques de wuxia, tirant plutôt vers un style hollywoodien revu et corrigé. C’est très stylisé, et la photo est superbe (http://www.prcmovie.com/library/swordsmen/001.html). Le film a reçu divers prix, dont le prix de la critique au 43ème festival de Berlin en 1993.

 

« Red Firecracker, Green Firecracker », adapté d’une nouvelle de Feng Jicai, est totalement différent, tout en gardant le thème du héros luttant contre une bande de malfrats. L’histoire est située dans un village du Nord de la Chine, en 1911. La famille Cai y possède une importante fabrique de feux d’artifice. Ils sont riches mais sans héritier mâle. La fille aînée, Chunzhi, est donc désignée pour prendre la tête de l’affaire, à deux conditions : elle doit assumer une apparence masculine, se faisant appeler « maître », et ne pas se marier pour éviter que la richesse familiale passe en d’autres mains. Or, la famille engage un artiste pour décorer sa splendide demeure à l’approche de la fête du printemps. Niu Bao est évidemment un jeune homme séduisant qui va semer la perturbation dans le cœur de Chunzhi et dans la famille, avec des conséquences aussi explosives que les produits de l’usine familiale. Pour restaurer l’ordre, la famille aura recours à une tradition centenaire : choisir le mari à l’issue d’une compétition publique…de feux d’artifice, aussi spectaculaire que dangereuse.

 

Le film est une réussite esthétique. L’intrigue amoureuse elle-même joue sur le mode mélodramatique, mais avec beaucoup de retenue et d’intensité, et le personnage de Niu Bao est superbement bien campé, original, insolent et séduisant comme il se doit. C’est aussi une très belle métaphore de la théorie communiste de l’auto-destruction du système capitaliste : l’usine est située d’un côté de la rivière, représentant les forces de progrès, tandis que la demeure familiale est située sur l’autre rive, symbolisant les traditions « féodales » retranchées derrière leurs murs.  Cependant, c’est la beauté des images qui l’emporte : les vues de la vieille ville, du fleuve, mais surtout les intérieurs en clair-obscur donnant l’impression d’un éclairage naturel avec de vieilles lampes, comme autrefois. L’air semble saturé de poussière très fine, on a presque l’impression de la respirer. Ces images sont dues à Yang Lun, à qui l’on doit aussi celles du « Sorgho rouge » ou du « Voleur de chevaux ». ..

 

Inutile de dire que le film a récolté une moisson de récompenses, dont trois « Golden roosters » (le top des récompenses en Chine) en 1994 – dont le prix du meilleur réalisateur et du meilleur acteur (Gang Wu), et, la même année, le coquillage d’argent de la meilleure actrice (Ning Jing) au festival de San Sebastian.

 

Depuis lors, He Ping a réalisé un troisième long métrage,《日光峡谷》ou « Sun Valley » , dans le style de « Swordsman », avec un personnage principal qui semble tout droit issu des « Cendres du temps ». 《天地英雄》était annoncé comme une nouvelle variation sur le même thème. On était donc en droit d’attendre ce qui aurait pu être le dernier volet d’une trilogie. C’est un peu le cas, mais ce nouveau film, très ambitieux, n’a malheureusement pas la qualité des premiers. On comprend que les distributeurs ne se soient pas hasardé à le distribuer en salle en France. Il n’a fait qu’une brève apparition à un festival à Strasbourg, en 2006.

 

Il commence par une leçon d’histoire, car le récit se situe à un moment charnière de l’histoire chinoise, qui méritait effectivement quelques explications, au moins pour le public occidental. Nous sommes sous les Tang, au septième siècle, dans l’Ouest de la Chine. Ce territoire est alors aux franges de l’empire chinois, disputé par des tribus nomades d’origine proto-turques, les Tujue (突厥). Au début du septième siècle, celles-ci ont été unifiées par un puissant souverain qui a étendu son pouvoir jusqu’en Afghanistan et en Inde du Nord. Ce n’est qu’en 657 que les Chinois réussirent à les évincer, temporairement, du bassin du Tarim, avec l’appui des Ouïgours. Pendant toute cette période, l’enjeu majeur est la maîtrise de la Route de la Soie.

 

L’histoire du film, située dans le désert de Gobi, est à replacer dans ce contexte.  Un Japonais, venu en Chine tout enfant s’initier aux arts martiaux et resté à la solde de l’empereur chinois, Lai Xi, désire maintenant rentrer chez lui ; l’empereur lui en accorde enfin la permission, mais après une dernière mission : retrouver et tuer un lieutenant mutin, Li, qui a refusé de passer par les armes des prisonniers Tujue (des femmes et des enfants) et s’est évaporé dans le désert. Il le retrouve, mais celui-ci s’est mis au service d’une caravane qui revient d’Inde avec de précieux documents bouddhistes et qu’il s’agit de protéger contre les raids d’un potentat local allié aux Tujue, maître An. Ils concluent alors un pacte : ils ne s’affronteront qu’une fois la caravane en sécurité. Par ailleurs, Lai Xi est chargé par le général en charge du poste frontière de raccompagner sa fille, Wen Zhu, jusqu’à la capitale, Chang’an, car la situation à la frontière est devenue dangereuse pour elle – ce qui rappelle le scénario d’un film coréen, « Musa the warrior », ou « Musa princesse du désert » de Kim Sung-soo, avec Zhang Ziyi (2). 

 

Cela fait beaucoup d’intrigues pour un seul film, de quoi faire deux ou trois feuilletons télévisés. L’histoire de la caravane est celle qui plombe définitivement le film. Elle est évidemment inspirée de l’histoire, plus ou moins vraie, du moine Xuanzuang qui aurait quitté la Chine en 629 à l’âge de 27 ans pour aller étudier le bouddhisme en Inde, et serait revenu en Chine en 645 pour passer le reste de sa vie à traduire les précieux documents rapportés de son séjour indien. He Ping dépeint la caravane traversant le désert de Gobi dans des circonstances aussi périlleuses que les convois de pionniers américains traversant Monument Valley au 19ème siècle, mais ici ce sont des hordes turques – outre les tempêtes de sable - qui menacent les voyageurs, dont il ne reste bientôt plus qu’un moine, perdu dans ses prières. Mais Li et ses comparses finissent par réaliser qu’il ne transporte pas seulement des livres, mais aussi des reliques sensées avoir un pouvoir surnaturel, ce qui attise la convoitise de maître An et de ses sbires.

 

Si les images sont forcément superbes – il y a le désert de Gobi, et il est filmé par Zhao Fei, autre vétéran du cinéma chinois qui a fait ses études aux côtés de Zhang Yimou et Chen Kaige, et qui a été le chef opérateur, entre autres, de « Epouses et concubines » et « L’empereur et l’assassin » - le reste ne suit pas. D’abord c’est très long, deux heures, et c’est à la fois compliqué et simpliste. L’histoire des reliques tente de distiller un suspense digne des « aventuriers de l’arche perdue », mais les effets spéciaux sont tellement kitsch, dignes du pire feuilleton télévisé, que l’on finit par se lasser. Faute de profondeur, la multiplication des combats devient mortellement répétitive. On ne sent même pas la tension qui devrait exister entre Li et son assassin potentiel.

 

On est désolé en particulier pour les acteurs, qui sont tous excellents. Jiang Wen, dans le rôle du lieutenant Li, fait ce qu’il peut pour sauver son personnage, mais, affublé du costume ridicule qui est le sien, portant cuirasse à la romaine et casque de uhlan (je n’exagère pas : http://www.imdb.com/media/rm3073742848/nm0372092 - les autres soldats portent des casques en fer blanc qui relèvent de la quincaillerie de village), ses efforts sont voués à l’échec. Zhao Wei, dans le rôle de la fille du général escortée par Lai Xi, est reléguée dans un rôle mineur qui ne lui laisse pour tout moyen d’expression que quelques œillades en coin. Quant à Wang Xueqi dans le rôle de maître An, il est superbe au début : potentat légèrement fou qui passe son temps à jouer de l’erhu, il a droit à la seule belle séquence de wuxia du film. Mais on se lasse de le voir traîner son instrument à chacune de ses apparitions, jusque sur le champ de bataille. Là encore, le personnage tourne au cliché.

 

Le film a demandé plusieurs mois de travail dans des conditions difficiles. D’abord, se rendre sur les lieux du tournage, commencé en août 2001, a demandé une logistique complexe. Ensuite, la ville de Damaying, où se passe une partie de l’action au début du film, a été entièrement construite, en plein désert, pour les besoins du film. Par ailleurs, le temps a rajouté quelques difficultés supplémentaires : l’équipe a dû affronter des chutes de neige précoces en octobre. La principale scène de bataille, celle du siège du fort, contrairement à ce que l’on pourrait penser, a été tournée en décembre, par une température glaciale. Et la scène de la grotte (où se réfugie la caravane pour échapper aux cavaliers turcs – qui sont d’ailleurs des soldats kazakhs de l’armée chinoise, et ils sont formidables, les seuls à faire vrai, dans l’histoire) a dû être ensuite tournée à Pékin, en janvier, dans un entrepôt désaffecté….

 

On n’en finit pas de se dire que c’est là un immense gâchis et regretter le film qui aurait pu être réalisé.

 

 

 

(1) Photo de He Ping : http://yule.sohu.com/20080411/n256225079.shtml (lors d’une conférence de presse pour soutenir les Jeux olympiques). C’est un metteur en scène un peu singulier, qui n’est pas passé par l’institut de Beijing. Sa mère a tenu le rôle féminin dans le premier film réalisé par la Chine communiste, 《桥》(le pont), en 1949. Quant à lui, il a commencé par travailler comme assistant sur divers plateaux avant de se lancer lui-même dans la réalisation.

 

(2) Un groupe de soldats de l’empire Koryo envoyés diplomatiques auprès de l’empereur chinois, ont été exilés par celui-ci quelque part dans le désert. Ils réussissent à s’échapper, mais risquent la mort. Délivrer une princesse Ming tombée aux mains des Mongols et la ramener à la capitale est pour eux la seule solution de se réconcilier avec l’empereur et de pouvoir retourner chez eux. On le voit, le scénario présente pas mal de similitudes avec celui de He Ping. Cependant, « Musa » est beaucoup plus élaboré : les caractères de chaque personnage, en particulier, sont développés et celui de Zhang Ziyi n’est pas réduit à celui d’une figurante de luxe comme c’est le cas de Zhao Wei chez He Ping. Le film offre aussi une réflexion sur la guerre, et sur les inégalités sociales, alors que la seule ébauche de réflexion de ce genre dans « Les guerriers » est fournie par Jiang Wen alias le lieutenant Li : « Il faut tuer pour se conformer aux ordres, c’est ne pas tuer qui est un crime. »

 

 

 

 

 

 

 

 



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