Sun Xun et le « Pi Animation Studio » : vers un renouveau du film danimation chinois ?
Festival Shadows, 18 octobre 2008.
Sun Xun (孙逊)est aujourdhui lune des figures du renouveau du film danimation en Chine (1), et une figure très subtilement médiatisée. Il est né en 1980 à Fuxin, dans le Liaoning, mais a fait ses études à la China Academy of Fine Arts de Hangzhou, où il réside toujours. Cest en 2006 quil a fondé son studio danimation « Pi » (丌格动画工作室)et ses uvres, tant picturales que cinématographiques, ont depuis lors fait le tour des grands musées et des festivals de cinéma.
En effet, pour créer ses animations, Sun Xun réalise des centaines de dessins individuels, qui incorporent souvent des textes dans limage, sur des sujets qui sont le plus souvent historiques et politiques. Puis il filme les dessins, lun après lautre, pour donner une idée de mouvement, suggérer le passage du temps ou les machinations de lhistoire. Les uvres réalisées pour la préparation des films sont elles-mêmes des uvres dart à part entière, présentées parallèlement aux films eux-mêmes, dans musées et galeries.
En 2006, à la biennale de Shanghai, il a inauguré une manière très vivante dinitier le public à une démarche créatrice qui participe autant de lart graphique que de lanimation. Lidée a ensuite été reprise et développée à Beijing pour la création de « Coal Spell » ; le Platform China Contemporary Art Institute (2) a réalisé au printemps 2008 une exposition duvres de Sun Xun sur deux mois : pendant le premier, lartiste a dabord tenu un studio public où lon pouvait le voir réaliser les sketchs préparatoires du film ; les uvres réalisées ont ensuite été exposées pendant le mois suivant. En juin-juillet 2008, le Hammer Museum de Los Angeles a appliqué la même méthode dans le cadre de son programme dartistes en résidence.
Pour en revenir aux films eux-mêmes, « Coal Spell » relate lhistoire de Fuxin, la ville natale de Sun Xun : dans une ville mystérieuse et sombre, parcourue par des tempêtes de sable, des nuées de fumées noires séchappant dimmenses cheminées dusines cachent le soleil ; les slogans idéologiques retentissent quotidiennement pour rappeler les esprits à lordre et brider leur curiosité du monde extérieur ; la ville est ainsi une prison où lhistoire est enfermée Le film est une sorte dhommage à la ville où Sun Xun a vécu son enfance, et où il a commencé à douter de lhistoire telle quon la lui inculquait. Cest une sorte de condensé de ses thèmes favoris.
Car le monde de Sun Xun est un univers très sombre, manipulé par des magiciens et habité par le mensonge, peuplé danimaux monstrueux et menaçants, où dominent le noir du néant et le rouge des flammes, où les murs se fissurent inéluctablement, où les fumées dusines se mélangent aux volcans en irruption, où la guerre est toujours imminente et lhumanité constamment menacée. Un univers très pesant de cataclysme latent, magnifié encore par la musique, signée Jin Shan (3).
Fort heureusement, le site de la galerie ShanghArt de Shanghai comporte des vidéo clips dune bonne partie des courts métrages réalisés par Sun Xun (et son studio à partir de 2006) ceux-là même projetés au festival Shadows, à deux ou trois exceptions près. Ne figure, malheureusement, dans la liste ni « Coal Spell » ni « Heroes no longer » qui est lui aussi caractéristique des thèmes et du style de Sun Xun. Satire impitoyable de la fabrication de lhistoire par un régime autoritaire, la Chine pour ne pas la nommer, il commence par les actualités de 1959 : lUnion soviétique est victorieuse, la production de charbon de la Chine a dépassé celle de lAngleterre cest la période du Grand Bond en avant puis changement de décor : des mourants à lhôpital tandis que des corbeaux les surveillent, perchés sur des fils électriques image de la grande famine qui a suivi . La musique, triomphale dabord, se met peu à peu à dérailler, comme un vieux 33 tours quon naurait pas passé à la bonne vitesse .
La sélection de la galerie est cependant très représentative de luvre de Sun Xun. On peut visionner ces petits chefs duvre tranquillement chez soi, en remerciant le ciel de vivre à lère dinternet
Utopia in the day 日常乌托邦 (2004 4mn14s) est en 5 parties : ampoule, toupie (où un marionnettiste tire les fils du monde), eau courante, échecs et réveil (où le monde est détruit dans lobscurité finale, une main allume une allumette )
http://www.shanghartgallery.com/galleryarchive/image.htm?id=8019
Magician lie « 魔术师的谎言 » (2005 4mn14s) : animation sur des visages traités comme des masques et un corps nu maculé de terre sur lequel se meuvent des signes semblables à des scarifications tribales séance dexorcisme ou magie guerrière, on ne sait trop.
http://www.shanghartgallery.com/galleryarchive/image.htm?id=8015
A war of Chinese words « 文字元年战役 » (2005 2mn) : des caractères chinois se muent en soldats, chevaux, chars de combat antiques, et se font la guerre.
http://www.shanghartgallery.com/galleryarchive/image.htm?id=11145
Lie (2006 7 mn 20 s) : un espace indéterminé est habité par un personnage portant un chapeau haut de forme (figure récurrente chez Sun Xun, représentant le magicien manipulateur des foules, cest-à-dire le politicien) ; il est éclairé par la lune qui brille à travers les barreaux de la fenêtre ; peu à peu, cependant, les murs commencent à afficher des figures inquiétantes qui se développent, et les créatures qui naissent de ces formes étranges se transforment en bombes
http://www.shanghartgallery.com/galleryarchive/image.htm?id=8017
Mythos 异邦(2006-12mn36s) en 2 parties (Mythos and the words of Mythos) : collage voulant représenter des souvenirs personnels tout autant que la mémoire collective (le mythe). Lhistoire est découpée en tranches, lunivers est finalement la proie de flammes rougeoyantes qui dévorent peu à peu les visages de photos jaunies effaçant la mémoire quelles tentaient de préserver.
http://www.shanghartgallery.com/galleryarchive/archives/detail/code/SXU013
Requiem 安魂曲 (2007 7 mn 21 s) : requiem pour un monde à lagonie, où les rues sont en flammes et le ciel envahi par des espèces de moustiques géants qui survolent la ville comme des hélicoptères menaçants.
http://www.shanghartgallery.com/galleryarchive/image.htm?id=8013
New China 新中国(2008 5mn19s) : pas du tout harmonieuse, la nouvelle Chine de Sun Xun ! Notez le slogan final : « In magician we trust »
http://www.shanghartgallery.com/galleryarchive/image.htm?id=13248
Il sagit là dun cinéma davant-garde, encore au stade expérimental. Sun Xun a, sans aucun doute, su créer un style, un univers et un ton très particuliers, centrés sur la critique de lhistoire et la satire politique. Tous ces films sont en fait des variations sur quelques thèmes de base. Ce qui sera intéressant, dans le proche avenir, cest de voir quels développements Sun Xun va réaliser à partir de ces variations. Il prépare, dit-on, un long métrage. Ce sera un test.
A noter : la galerie ShanghArt exposera des uvres de Sun Xun à la FIAC, à Paris, du 23 au 26 octobre prochains.
(1) Je dis bien « renouveau » car le film danimation en Chine a une longue histoire. Marie-Claire Quiquemelle, responsable du Centre de Documentation du Cinéma chinois de Paris, en est une spécialiste passionnée. Lan dernier, à loccasion dun festival de films danimation chinois sponsorisé par la ville de Paris, elle en a expliqué toutes les subtilités lors dune conférence au Centre culturel de Chine à Paris : ces films sont « des histoires courtes, tirées de contes ou proverbes chinois ancestraux [ ] dont les racines à la fois picturales et philosophiques remontent à plus de 3000 ans. Ce sont des oeuvres artisanales uniques, créées avec beaucoup de patience et une notion du temps très particulière [ ] Elles utilisent, certes, les règles universelles du dessin animé au rythme de 24 dessins par seconde, mais y mêlent tout lhéritage de la peinture traditionnelle chinoise. » Les techniques vont du lavis animé, au lavis découpage, aux marionnettes et silhouettes animées, et jen passe. Les pionniers en sont trois frères qui ont réalisé leur premier court métrage en 1926 : « La révolte des silhouettes en papier ». Puis, en 1949, la République Populaire a créé le Studio des Films dAnimation de Shanghai pour réunir tous les professionnels de lanimation et de la bande dessinée, mais aussi des peintres traditionnels. Te Wei, co-fondateur du Studio et créateur du lavis animé et du lavis découpé, la dirigée jusquen 1986.
Aujourdhui, le Studio, qui a souffert de la libéralisation de léconomie après 1980, a du mal à lutter contre la concurrence étrangère, surtout celle du Japon et de la Corée. Il est significatif, dans ce contexte, de voir dautres artistes relever le flambeau avec des méthodes modernes danimation qui gardent malgré tout certains procédés de la peinture chinoise.
(2) 站台中国, une galerie pékinoise située à Dashanzi, au nord de la capitale, dans cette fameuse friche industrielle transformée en vitrine de lart contemporain : lespace 798 ou 798艺术工厂.
(3) Jin Shan (金闪) fait partie de ces artistes multidisciplinaires qui sont assez caractéristiques du monde artistique chinois. Musicien et compositeur, mais aussi lui-même auteur de films vidéos assez provocateurs. Voir larticle sur sa vidéo intitulée « Water Division » dans ce même blog.