Jia Zhangke décoré de la Légion dHonneur
Selon une dépêche de lagence Chine nouvelle, cest hier, lundi 14 décembre, que Jia Zhangke (贾樟柯), figure désormais iconique du cinéma chinois, a été décoré de la Légion dHonneur, pour sa contribution inestimable au cinéma mondial.
Cest un article, on peut dire historique, des « Cahiers du cinéma », revue emblématique de la Nouvelle Vague française, qui a marqué les débuts de la popularité du cinéaste en France : cétait en 1997, pour la sortie de son premier long métrage《小武》(sous le titre « Xiao Wu, artisan pickpocket » !). Les louanges décernées par la revue étaient tout à fait logiques sadressant à un réalisateur qui a toujours reconnu limportance pour lui de linfluence de Robert Bresson et Jean-Luc Godard, entre autres.
Jia Zhangke a depuis lors été considéré comme le cinéaste du renouveau du cinéma chinois, en France et ailleurs, et chacun de ses films acclamé, à juste titre, par une critique unanime, lapogée de sa popularité mondiale étant atteinte avec « Still Life » (《三峡好人》, en 2006. Le film flattait la sensibilité de spectateurs prompts à vibrer pour les laissés pour compte de la croissance chinoise. On pense à la critique de Jacques Mandelbaum dans le Monde, en avril 2007 : « "Still Life" : l'homme noyé dans le changement ». Jia Zhangke était le cinéaste qui célébrait lhomme contre la machine et le régime.
Depuis lors, le réalisateur a évolué, et, comme nombre de ses pairs, cherche à dépasser lorbite des grands festivals et vise maintenant le marché intérieur, ou si lon préfère, le public chinois, ce qui ne doit pas au moins dans son cas - être considéré comme motivé par de pures considérations commerciales : il y a là la preuve de la vitalité dun cinéaste qui ne se laisse pas enfermer dans un style, mais, en perpétuelle recherche, sadapte à son temps et à lévolution de la société chinoise.
« 24 City » (《24城记》) peut être à ce titre considéré comme une uvre charnière (1), annonçant une nouvelle phase de la carrière du réalisateur, celle de la maturité, celle où lon a tendance à se retourner pour interroger le passé. Cest bien ce qui sannonce avec le film actuellement en préparation, « The age of tattoo » (《刺青时代》) (2).
On peut donc voir quelque chose dà la fois logique et ironique dans le choix de ce moment particulier pour lui décerner la Légion dHonneur. Elle honore effectivement le réalisateur phare de la sixième génération des réalisateurs chinois, celui qui a indéniablement bouleversé les donnes du cinéma chinois, en en renouvelant le langage et lesthétique, mais elle le fait à un moment où il est politiquement correct de le faire. On ne peut sempêcher de voir dans ce geste hautement symbolique un reflet de la politique actuelle visant à amadouer le dragon après les maladresses diplomatiques de lan dernier. Il faut rappeler que la Légion dHonneur a été créée par Napoléon pour récompenser « les mérites éminents militaires ou civils rendus à la Nation »...
(1) voir les articles des 16 et 19 mars 2009 sur ce blog.
(2) voir larticle du 24 août 2008.