« I wish I knew » (suite) : réflexion sur un commentaire de Luisa Prudentino

Publié le par brigitteduzan

Les deux articles précédents concernant le dernier film de Jia Zhangke ont suscité un commentaire intéressant de Luisa Prudentino qui mérite un petit développement.

 

Il concerne plus particulièrement la critique de Kuo K.L. selon laquelle Jia Zhangke, dans son film, a laissé blanche toute une page de l’histoire de Shanghai, la décennie (et même les deux décennies) après 1949, suggérant qu’il y a été obligé parce que c’est un sujet difficile à traiter dans les conditions inhérentes à la Chine.

 

Luisa Prudentino pense au contraire qu’il s’agit d’un choix découlant logiquement de la façon dont le metteur en scène a abordé et cadré son sujet. Pour lui, dans ce film, la légende de Shanghai est celle qui a été bâtie par des personnalités remarquables, et transmise par le cinéma.

 

Si l’on regarde le film sous cet angle, c’est en effet le cinéma qui en apparaît comme le thème principal. Si l’on suit Luisa, il est donc logique de sauter les années fatidiques pendant lesquelles la ville a disparu des écrans. C’est ce qu’elle appelle « l’exil de l’écran » dans sa contribution à l’anthologie sur Shanghai de la collection Bouquins parue l’an dernier (1). Et cet exil durera bien après la mort de Mao et le début de la politique d’ouverture. En fait, c’est à Hong Kong, et en 1984, que la ville réapparaît sur les écrans, dans le film de Tsui Hark « Shanghai Blues », en chinois上海之夜, c’est-à-dire ‘la nuit de Shanghai’.

 

La légende est née. Et elle est double : dans la tête des émigrés, à Hong Kong, Taiwan ou ailleurs, la ville se confond avec leur jeunesse, disparue avec le monde qui y était lié, dans un sentiment d’infinie nostalgie. Mais, par ailleurs, la ville des années 30 devient, dans le discours des autorités politiques, la vitrine mythifiée de la Chine moderne, le modèle de référence.

 

C’est selon ces lignes qu’est bâti le film de Jia Zhangke. Le réalisateur n’y a pas seulement « inséré l’histoire du cinéma chinois » (2). Le cinéma est pour lui le miroir déformant où se lit l’histoire de la ville, il en est la clé de lecture. Et le « trou » ressenti par Kuo K.L. se justifie ainsi.

 

Il n’empêche qu’il faut un fameux décryptage pour arriver à comprendre les non-dits du film, un film difficile à cerner parce qu’il est quand même mal ficelé, et Dieu sait qu’il en coûte de dire cela d’une œuvre d’un réalisateur ô combien respecté et admiré.

 

Et il reste à faire le film sur les non-dits… Fangua Lane, par exemple. L’envers de la légende. Ou une autre légende.

 

Notes :

(1) Shanghai, Histoire, promenades, anthologie et dictionnaire, Robert Laffont, collection Bouquins, chapitre « Le cinéma à Shanghai, ou quand l’écran s’empare du mythe », pp 528-565.

(2) Selon les termes de Jean-Luc Douin, dans son article posté sur son blog au moment du festival de Cannes l’an dernier. Voir mon article du 19 mai 2010.

 



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C
i like the way of your post,so cool,Thanks a lot.
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