Le Wang Chao nouveau est arrivé, rendez-nous l’ancien !

Publié le par brigitteduzan

Après une trilogie parfaite (1), on attendait avec impatience le nouveau film de Wang Chao que le festival Paris Cinéma nous offrait en avant-première dimanche soir : « Memory of love » ou《重来》(soit : repartir). Le film est sans nul doute esthétiquement réussi, mais la déception est à la mesure des espoirs frustrés.

 

Un scénario original

 

Wang Chao s’est tourné ici vers la nouvelle classe moyenne urbaine chinoise, loin des préoccupations de « L’orphelin d’Anyang » ou de « Voiture de luxe ». Il n’est plus question de fracture sociale ou des difficultés à vivre dans les grandes villes pour les nouveau citadins frais émoulus de la campagne : les problèmes abordés ici sont ceux d’un couple ordinaire de la nouvelle élite chinoise, ce ne sont pas des problèmes d’argent, ils en ont à revendre ; ils sont tout simplement confrontés à l’usure des sentiments et à la difficulté de vivre ensemble. Ce qui est original, c’est la manière dont Wang Chao, avec son adresse de romancier hors pair, a tressé les mailles d’un scénario pourtant bâti sur le traditionnel triangle amoureux.

 

Li Zhun est chirurgien dans une clinique ultra-moderne de Hangzhou ; sa femme, Sizhu, est décoratrice. Un jour, il la retrouve aux urgences, avec son amant, après un accident de voiture qu’ils ont eu ensemble. Il découvre ainsi la liaison de sa femme. Or, celle-ci sort partiellement amnésique de l’accident : elle ne se souvient plus des trois dernières années de son existence, donc de son amant. Li Zhun essaie alors de rétablir sa mémoire en lui faisant revivre les trois années occultées, sans lui cacher l’existence de l’amant, un professeur de tango, mais en tentant de regagner son amour.

 

C’est donc à la fois un film sur la trahison et sur la mémoire, et sur la difficulté de faire face à des situations qui provoquent des ruptures brutale dans le cours de l’existence.

 

Un manque total de profondeur émotionnelle

 

On sent que Wang Chao a voulu éviter de réaliser une bluette à l’eau de rose, ce qui était évidemment l’écueil qui le guettait avec un thème pareil. La solution pour laquelle il a optée est de rester distancié de son sujet, et de demander à ses acteurs d’en faire autant. Les images elles-mêmes sont extrêmement travaillées, comme du papier glacé ; certaines scènes sont des compositions virtuoses qui valent Hitchcock, comme la séquence où Sizhu revient pour la première fois dans le studio de danse, et se retrouve dans une sorte de mausolée où son image projetée sur divers écrans est comme embaumée et magnifiée par le souvenir.

 

Cependant, le film reste une succession de belles images que l’on regarde en se demandant quel peut bien être le message profond que le réalisateur a caché derrière. Le thème de la mémoire est évidemment un fil conducteur, et l’on songe à l’importance qu’il revêt dans la société chinoise aujourd’hui, où, justement, on a appris à vivre en état d’amnésie. Cela aurait pu être un sujet intéressant, mais le film glisse dessus, en se bornant à considérer les ravages de la perte de mémoire sur une femme – et indirectement son mari - dont le seul problème est dès lors de savoir si retrouver la mémoire signifiera aussi retrouver son amant. Et quand on sait que c’est un prof de tango, l’enjeu est bien mince.

 

L’ennui, c’est que les problèmes des citadins modernes sont les mêmes partout, cela fait à la limite un téléfilm potable, difficilement un bon film. Wang Xiaoshuai s’était déjà attaqué au problème il y a peu, en nous livrant lui aussi un film totalement différent de sa production habituelle : « Une famille chinoise » (《左右》) ; il n’avait pas livré un chef d’œuvre, mais son film réussissait à dépasser la problématique banale du couple en la replaçant dans le contexte socio-culturel chinois d’aujourd’hui.

 

Cela manque cruellement au film de Wang Chao qui apparaît neutre et fade à force de vouloir jouer sur l’intemporel et l’universel. Même la musique est ennuyeuse, un Ravel rabâché et un Piazzola qui arrive là comme un cheveu sur la soupe alors qu’il était probablement sensé apporter chaleur latino et ambiance nostalgique. Il arrive tout juste à suggérer Almodovar, et à faire regretter son génie.

 

Quant aux deux principaux acteurs, il s’agit du duo qui jouait dans le premier film de Zhuang Yuxin (庄宇新)vu cet hiver au Panorama du cinéma chinois, « Teeth of love » (《爱情的牙齿》) (2) : Li Naiwen (李乃文) et Yan Bingyan (颜丙燕) (3). On a l’impression qu’on a oublié de leur dire qu’ils avaient changé de film, Li Naiwen est toujours aussi coincé et Yan Bingyan a du mal à exprimer autre chose que des sentiments glacés, même quand elle danse le tango.

 

Une tentative de sortir de l’underground

 

On comprend que Wang Chao ait eu envie de s’évader de son image de cinéaste underground et de faire un film qui puisse sortir en Chine. De là à se lancer dans un film tellement léché et neutre qu’il puisse passer la censure sans problème, il y a un pas, qu’il franchit d’ailleurs en rétablissant pour le public occidental sensé en être gourmand quelques malheureuses scènes « de lit », comme disent les Chinois, qui sont aussi langoureuses que la musique de Ravel qui va avec. Wang Chao, de toute évidence, a essayé de ratisser large, en tentant de choyer le public chinois comme le public occidental, à l’opposé de la plupart de ses confrères qui ont compris que le premier était bien plus intéressant, et leur permettait de garder le supplément d’âme qui fait la valeur d’une œuvre.

 

Du coup, c’est un flop de tous les côtés. Les quelques critiques chinoises sont très réservées, et les premières réactions ici, après la projection de dimanche, généralement aussi incrédules que négatives. Pourtant, l’équipe de production avait fait ses preuves : c’est celle qui a réalisé l’incroyable succès au box office qu’a été le film de Ning Hao (宁浩), sorti en 2006, « Crazy Stone » (《疯狂的石头》), une comédie très drôle, mais sans tête d’affiche, qui a fait, grâce au seul bouche à oreille, vingt millions de yuans de recettes pour un investissement initial de trois. Si le producteur Bao Shihong voulait renouveler son coup d’éclat en s’appuyant sur le nom de Wang Chao, c’est raté.

 

Mais on est surtout désolé pour Wang Chao, et si cette critique peut paraître sévère, c’est que l’on vient brutalement de voir une idole tomber de son piédestal ; cela fait toujours mal.

Qui bene amat bene castigat.

 

Notes

(1) voir la biographie du réalisateur : article précédent du 3 juillet.

(2) voir l’article du 8 décembre 2008.

(3) Photo de l’actrice Yan Bingyan dans le film http://ent.qq.com/a/20080909/000120.htm

Les deux acteurs http://amuse.nen.com.cn/73749755317977088/20080808/2482492.shtml

 

A noter : le film va sortir en salle le 19 août prochain.



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