« La tisseuse » : un léger trou d’air dans la filmographie de Wang Quan’an

Publié le par brigitteduzan

Le quatrième film de Wang Quan’an (王全安) , « La tisseuse » 纺织姑娘, sorti ce mercredi 24 février sur les écrans français, arrivait avec un a priori favorable : le précédent film du réalisateur, « Le voyage de Tuya »  (图呀的婚事), Ours d’Or mérité de la 57ème édition de la Berlinale, en 2007, nous avait laissés dans l’expectative, et « La tisseuse » lui-même avait été primé au 33ème festival des films du monde de Montréal, en septembre dernier, remportant le prix des critiques de films Fipresci et le grand prix spécial du jury.

 

On ne peut s’empêcher d’être quelque peu déçu. Le film poursuit bien dans la même veine de réalisme sans pathos qui caractérise les œuvres précédentes du cinéaste (1), mais il y a ici tellement de retenue, que l’émotion finit par se perdre, d’autant plus que le sujet a déjà été traité maintes fois, en Chine en particulier, ce qui donne l’impression d’avoir déjà vu certaines images, en particulier celles de l’usine. Elles rappellent instantanément celles filmées par Jia Zhangke, entre autres, y compris les scènes de la chorale.

 

Le réalisateur a expliqué au cours d’une interview (2) les raisons profondes du choix de son sujet, qui remontent à son enfance et aux souvenirs des ouvrières d’un groupe d’usines textiles de la région de Xi’an, aujourd’hui fermées. Il ne s’agit pourtant pas d’un film sur les problèmes sociaux de la Chine moderne, mais d’une réflexion sur la vie et la mort, ou plus spécifiquement sur le peu de chose qu’est la vie face à la mort. Le scénario est ainsi axé sur le désarroi induit par l’annonce d’une mort prochaine chez une jeune ouvrière qui prend brusquement conscience de la futilité de son existence et en conçoit le désir de vivre pleinement au moins les quelques mois qui lui restent, en tentant même de revenir vers un amour ancien.

 

Le scénario n’a rien d’original, mais, en général, ce genre d’histoire sert de prétexte non seulement à l’analyse d’un personnage et de son entourage, mais aussi des problèmes sociaux qui y sont liés. Ici ce n’est pas le cas, ou du moins ce n’est pas l’intention avouée du cinéaste : son dessein est de dépeindre un drame intime, et qui pourrait être universel. Toutes les questions sociales sont donc à peine esquissées, voire esquivées, ce n’est pas le propos. Mais, comme le film est par ailleurs tout en retenue émotionnelle, on reste à distance, dans une morne indifférence, ponctuée d’éclairs de plaisir devant certaines images, et ce malgré l’excellente prestation de l’actrice, Yu Nan (余男), celle du « Mariage de Tuya » : elle sauve le film de l’ennui.  

 

On se consolera en attendant le prochain film de Wang Quan’an, le déjà fameux « Apart together » qui vient d’être présenté et primé à Berlin (3) et qui s’annonce, lui, comme une excellente cuvée.

 

Notes  

(1) Wang Quan’an (王全安) est né  à Yan'an, dans le Shaanxi, en 1965. Après des études d'acteur à l'Académie du film de Pékin, il obtient son diplôme en jouant un conducteur d'autobus dans «Good morning, Beijing» (北京,你早), troisième film de Zhang Nuanxin (张暖忻) sorti en 1990 ; puis il entre aux Studios de Xi'an.

Wang Quan’an appartient à la « sixième génération » du cinéma chinois, et, comme les réalisateurs de cette « génération », préfère aux grandes fresques de ses prédécesseurs,  le docu-fiction en prise directe sur le réel. Les personnages ne sont plus des héros ou des emblèmes d’un passé souvent tragique, mais des individus broyés par l'exode rural forcé et le travail dans des centres industriels au bord de l’asphyxie, souvent filmés caméra à l’épaule, avec une volonté de témoigner, autant que de dénoncer, qui n'empêche ni l'esthétisme ni l'humour.

 

Filmographie :

1999  « Eclipse de lune »月蚀

Prix des critiques au Festival international du Film de Moscou en 2000.

Après avoir abandonné sa carrière d'actrice pour épouser un homme plus âgé qu'elle, une femme, Ya Nan (雅男) rencontre un photographe qui lui annonce qu'elle ressemble à une femme qu'il a aimée et qui l'obsède, et qui voulait elle aussi être actrice. Ya Nan se lance alors dans une quête pour tenter de comprendre…

Ce fut le premier rôle de Yu Nan, qui devint l’actrice fétiche de Wang Quan’an, comme Zhao Tao pour Jia Zhangke.

2004 « The Story of Ermei »惊蛰

Le titre  chinois, Jīngzhé, désigne symboliquement l’une des 24 périodes du calendrier lunaire, vers le 6 mars, qui marque la fin des grands froids et de l’hibernation ; on dit : après Jīngzhé, les animaux qui hibernent sortent chercher à manger ( zhé : hiberner). 

Guan Ermei (二妹)est vendue à un paysan aisé, mais ivrogne, parce que sa famille est tombée dans la misère à la suite de la maladie du grand-père et de la tentative du père de couper des arbres illégalement pour pouvoir acheter les médicaments nécessaires. Révoltée, Ermei fuit à la ville pour éviter ce mariage et se fait embaucher dans un restaurant. Séduite et abandonnée, elle revient finalement au village se marier, a un fils, et, au bout du compte, découvre la joie simple de vivre avec lui.

Yu Nan incarne à merveille une sauvageonne paysanne qui finit par accepter son destin et se réconcilier avec la vie. Le film est un hymne aux joies simples de la vie paysanne et à ses valeurs.

Affiche http://www.quacor.com/show.php?contentid=49154

2006  Le Mariage de Tuya 图呀的婚事

Dans les immensités de la steppe mongole, Tuya mène une vie difficile avec son mari, handicapé à la suite d’un accident ; il lui propose donc de se remarier, mais la quête du mari idéal sera compliquée par le fait que celui-ci  doit accepter de subvenir aux besoins de l’invalide que Tuya ne veut pas abandonner.

« Ma mère est née en Mongolie intérieure » a expliqué le cinéaste « tout près de là où le film a été tourné. C’est pourquoi j’aime tellement les Mongols, leur vie et leur musique. Lorsque j’ai entendu dire que le développement industriel asséchait les pâturages et que les autorités locales forçaient les bergers à quitter leurs terres, j’ai décidé de faire un film qui laisserait une trace de leur mode de vie avant qu’il ne disparaisse. »

Wang Quan’an ne met aucun sentimentalisme dans sa description des traditions qui se perdent ; il dépeint les faits, et l’inexorable évolution en cours, et quand l’histoire menace de virer au drame, il nous distille une petite dose de comique impromptu qui fait repartir le film dans la voie du réalisme qu’il s’est tracée. Le tragique est aussitôt désamorcé. C’est peut-être cette subtilité dans le dosage des éléments de tragique et de drôlerie naturelle qui manque le plus dans « La tisseuse ».

Extrait 1 (l’accident) http://www.commeaucinema.com/bandes-annonces/le-mariage-de-tuya,82438-video-8790

Extrait 2 (le divorce) http://www.commeaucinema.com/bandes-annonces/le-mariage-de-tuya,82438-video-8791

Extrait 3 (1er prétendant) http://www.commeaucinema.com/bandes-annonces/le-mariage-de-tuya,82438-video-8792

 

(2) Voir http://www.ecrans-asie.com/

(3) Voir articles des 9 et 21 février derniers.



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