Rétrospective Guo Xiaolu au festival Cinéma du Réel, à ne pas manquer …

Publié le par brigitteduzan

Il est difficile d’ignorer Guo Xiaolu (郭小櫓) aujourd’hui : elle a commencé par écrire pour se tourner ensuite vers le cinéma et elle est aussi brillante dans ces deux domaines qui, d’ailleurs, chez elle, ne sont que les deux modes d’expression complémentaires d’un talent protéiforme et hors norme.

 

Trois vies en une

 

1. Elle est née en 1973, en pleine Révolution culturelle. Parce que son père avait manifesté quelques velléités artistiques, il fut envoyé en camp de travail, Xiaolu fut élevée par ses grands parents, dans un petit village de pêcheurs, au sud de la Chine, face à Taiwan. C’était un environnement inculte, sa grand-mère avait été mariée enfant, elle avait encore les pieds bandés, le grand père était pêcheur, les deux était illettrés, comme la plupart des gens dans le village. Elle se souvient que, la nuit, si le vent n’était pas trop fort, on pouvait entendre la musique de la radio de Taiwan, de ‘l’autre côté’, des chansons très douces, dans le dialecte de l’île.

                       

C’était très beau, et il y avait certainement là de quoi rêver, s’évader d’un quotidien morne et violent : ses grands parents étaient en conflit permanent, et ce fut pire quand elle revint vivre avec ses parents : sa mère la battait. Adolescente renfrognée et difficile, Xiaolu décida à dix huit ans de partir, le plus loin possible, à Pékin. Après tout, le prénom que lui avait donné son père, en hommage à ses origines familiales, 小櫓xiǎolǔ , signifiait ‘petite godille’, c’était déjà la prédestiner au voyage.

 

2. Il fallait choisir une voie : ce fut l’Académie du cinéma de Pékin, où elle fut admise de haute lutte. A dix huit ans, elle se retrouva seule dans la capitale, écrivant, pour vivre, des scénarios pour la télévision, des histoires classiques de drames familiaux et d’enquêtes policières. A l’Académie, elle mit les bouchées doubles pour rattraper son retard culturel, découvrit Jean-Luc Godard, David Lynch, passa des nuits à lire Marguerite Duras. Mais le cinéma l’effrayait, avec ses côtés techniques et surtout financiers à maîtriser. Elle resta neuf ans à l’Académie, faisant de la recherche, enseignant, et écrivant des livres sur la théorie du cinéma (1). C’est l’écriture qui l’attira d’abord, elle avait terminé un premier livre avant même d’entrer à l’Académie.

 

Quand elle en sortit, en 2000, elle commença à travailler comme assistante non rétribuée sur divers plateaux, tout en continuant à écrire et publier. L’écriture lui semblait alors le plus facile, ce qui correspondait le mieux à son besoin d’expression, remontant à des sources autobiographiques qui iront ensuite nourrir ses films. Car, que ce soit dans ses livres ou dans ses films, c’est toujours d’elle qu’elle parle, ou plutôt c’est toujours elle qui parle.

 

3. Elle avait acquis une certaine notoriété en Chine comme écrivain lorsque, en 2002, elle décrocha une bourse du British Council pour aller étudier la réalisation de films documentaires à Londres, à la National Film School. Elle partit en se disant, je pars pour un an et je reviens. Mais elle réalisa l’année suivante son premier court métrage documentaire, tourné en deux semaines, sur les impressions et réactions d’une jeune Chinoise débarquant à Londres. Intitulé « Far and Near », ce premier documentaire obtint en 2003 le Beck’s Future Prize, décerné par l’Institut d’Arts contemporains de Londres. C’était le pied à l’étrier : la vie de Xiaolu fut désormais une alternance de périodes d’écriture et de tournages de films.

 

Elle dit que, lorsqu’elle a écrit pendant un certain temps, elle a besoin de retourner derrière la caméra pour retrouver le contact avec le monde. « Lorsque je passe beaucoup de temps à écrire un roman, j’ai l’impression que la réalité meurt. Je perds le contact avec la société, les gens, la réalité. J’ai alors besoin de faire un film, de travailler avec une équipe. » Mais c’est toujours la même réflexion qu’elle poursuit.

 

Xiaolu a élu domicile à Londres, à Hackney, dans l’East End, mais se partage entre la Chine, où elle revient tous les ans, la France, où elle était, pendant l’hiver 2008, en résidence à Paris, invitée par la Cinéfondation du Festival de Cannes, et l’Allemagne, où elle travaille avec une société de production. Ces multiples liens font qu’elle est maintenant une figure connue et récurrente des grands festivals internationaux de cinéma, autant que du monde littéraire.

 

Des documentaires où le scénario prime l’image

 

Dès le départ, son œuvre cinématographique s’affirme sous l’emprise de l’écrit.

 

 « The Concrete Révolution », en 2004, est une référence directe à Chris Marker. C’est à la fois un documentaire sur la transformation accélérée de Pékin qui fait disparaître des pans entier de vieux quartiers au nom de la modernisation, et une réflexion sur les conséquences de cette rénovation urbaine, en termes de coûts culturels et sociaux. C’est un essai poétique qui mêle couleur et noir et blanc, avec des bouts de bandes d’actualité, des chants et des citations du président Mao, mélange de styles assez caractéristique même si le sujet a depuis été ressassé sous de multiples formes.

affiche http://www.guoxiaolu.com/FIL_CR_ST_poster.htm

trailer http://www.youtube.com/watch?v=qhFttzcgjWI&feature=related

 

Le court métrage qui suit, en 2006, « Address unknown » (ou 明信片cartes postales), rappelle Marguerite Duras dans sa conception et son élaboration. En onze brèves minutes, il décrit une femme rentrée en Chine qui, de sa chambre à Pékin, écrit à son amant, qu’elle a laissé à Londres, des cartes postales qui lui reviennent toutes : leur destinataire semble s’être évaporé dans les brumes de la capitale. Finalement, dans la dernière des cartes, elle lui annonce qu’elle a annulé son vol de retour… Le personnage féminin qui écrit n’apparaît pas à l’écran ; ce que l’on voit, c’est ce qu’elle voit de sa fenêtre, la vie autour d’elle, qui n’arrête pas, même la nuit, et qu’elle décrit dans ses cartes, cinq au total, comme autant de scènes et autant de réflexions, se terminant sur ce jour de pluie qui met fin à la relation, épistolaire et amoureuse. Chaque carte est un long plan statique, superbe.

Stills http://www.guoxiaolu.com/st_X_pics_printquality.htm#AU_stills_300dpi

 

Cette liberté de style se retrouve dans le long métrage de 2008 « We Went to Wonderland » (仙境之旅), filmé, lui, en noir et blanc. Elle y décrit le voyage en Europe de ses parents, leur étonnement de vieux Chinois en total décalage culturel, montant en parallèle les images de ce qu’ils voient et celles qu’ils ont en tête (superbe séquence où ils marchent dans une rue déserte en se demandant où sont passés les gens, et où défilent alors à l’écran des images de rues chinoises, animées et bruyantes). C’est un voyage intérieur, un voyage à la Candide. Ils voulaient voir le monde avant de mourir, mais le monde les ramène automatiquement vers la Chine, il en est comme un négatif. Les images en noir et blanc en font un poème visuel, à l’instar d’un tableau chinois à l’encre de Chine. La forme et le fond se répondent parfaitement.

Bande annonce http://www.youtube.com/watch?v=Aq4CvjSA4Fk&NR=1

 

Le découpage en plans successifs que l’on avait dans « Address unknown » se retrouve dans le court métrage suivant de 12’, sorti en 2009 : « Three short films about home », qui a pour sous-titre « Longings and belongings ». Il est constitué de trois tableaux : un, une fermière, éleveuse de poulets, en visite à Chongqing, qui remercie le Parti, autrement comment aurait-elle la vie qu’elle a maintenant, avec un réfrigérateur et un poste de télévision, et la possibilité d’abandonner un temps ses poulets pour venir se promener à Chongqing ? Deux, des jeunes dans une rue de Londres, près de la City : elles crient qu’elles sont l’avenir, le centre du monde, mais leurs voix se perdent dans les bruits de voitures. Trois, le marché aux légumes de Hackney, East End, marché africain, une autre réalité, comme une autre Chine, à deux pas des banquiers en filigrane dans la séquence précédente. Le monde tel qu’il est… fait de « longings and belongings », de désirs et d’appartenance, d’appartenance et du désir d’en échapper, partout sous le soleil.

 

On est donc aux limites du documentaire et de la fiction, quelquefois frisant l’un plutôt que l’autre, dans un équilibre toujours instable, comme si la fiction faisait partie du réel, en était indissociable à partir du moment où l’on veut le dire. C’est tout le problème, et la richesse, du documentaire. Guo Xiaolu semble avoir voulu franchir la limite en réalisant en 2009, à la manière de Jia Zhangke, un documentaire et un film de fiction à partir du même sujet : la fiction, c’est « She, a Chinese », le documentaire, c’est « Once upon a time Proletarian » (曾经的无产者).

 

Le premier retrace le parcours d’une Chinoise qui ressemble à Xiaolu comme une petite sœur, partie de sa campagne natale pour aller tenter sa chance à Chongqing, puis à Londres ; le second a été réalisé pendant le tournage du premier, c’est l’envers du décor, la sueur et la poussière, les soupirs et les silences des gens dans la rue. Mais les deux mêlent les styles et les genres, et le documentaire est finalement aussi fantasmé que le film est réel dans sa fiction. C’est une anatomie en douze chapitres de la société chinoise actuelle, entrecoupés de petits tableaux où des enfants lisent des bandes dessinées, et accompagnés d’une bande son de musique rock qui donne son rythme au tout. Les photos elles-mêmes frisent parfois l’onirisme, on ne sait plus où finit le réel et où commence le rêve.

Stills :

http://www.guoxiaolu.com/FIL_PROL_ST_LF_BusStation1.htm

http://www.guoxiaolu.com/FIL_PROL_ST_FIELDS_CYCLE.htm

 

Ce mélange des genres a atteint son apogée dans le long métrage de 2006 qui est sans doute le chef d’œuvre de Guo Xiaolu : « How Is Your Fish Today ? » (今天的鱼怎么样). Sorti comme documentaire, c’est en tant que film de fiction qu’il a obtenu le grand prix du jury au 29ème festival international de films de femmes de Créteil, en mars 2007, et une mention spéciale la même année au festival de Rotterdam, …  Il mérite un article à part.

 

Note

(1) Elle a d’ailleurs publié, en Chine, en 2001, deux livres d’écrits sur le cinéma : Movie Map  (电影地图)

et Film Notes (电影理论笔记 ).


 

Projections au festival Cinéma du Réel

   

Le festival nous annonçait des « ateliers » ; en fait, la programmation, débutée hier, a été éclatée en de multiples séances, nécessitant autant de déplacements, parfois pour de courtes projections. Mais c’est une occasion rare de trouver un aperçu aussi complet de l’œuvre de cette réalisatrice.

 

Séances à venir :

 

An Archeologist's Sunday + We Went to Wonderland

Samedi 20 mars 2010 à 18h15 - Petite Salle

Far and Near

Mercredi 24 mars 2010 à 22h00 - MK2 Beaubourg

Three Short Films About Home

Jeudi 25 mars 2010 à 22h00 - MK2 Beaubourg

Once Upon A Time Proletarian

Jeudi 25 mars 2010 à 22h00 - MK2 Beaubourg

The Concrete Revolution

Mercredi 24 mars 2010 à 22h00 - MK2 Beaubourg

 

‘Masterclass’ : Dimanche 21 mars 2010 à 14h00 – Petite Salle

Le titre est un peu trompeur. C’est plutôt un aperçu de l’œuvre de Guo Xiaolu, tant cinématographique que littéraire, avec projection d’extraits de films et lectures de textes, animé par Carlo Chatrian, critique de cinéma.

Comme l’accès est gratuit, dans la limite des places disponibles, il vaut mieux arriver en avance.

Cette ‘masterclass’ sera suivie de la projection de « She, a Chinese », à 17 h 30 (cinéma 2).

 

Je signale, pour ceux qui auraient raté l’unique séance de « How is your fish ? », hier vendredi, que le DVD est sorti l’an dernier en France.

 

A suivre …



Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
S
SeotonsPlacer juste un simple occurrence importantes dedans style de vie, mouvement, film et puis la TV montre !
Répondre
S
SeotonsMerci d'avoir partagé cette info
Répondre