Rencontre avec Cai Shangjun, réalisateur de "The red awn" (2)

Publié le par brigitteduzan

2ème PARTIE : deux autres films en préparation – au total une trilogie

 

Ma question suivante concernait bien sûr les projets à venir, « The red awn » étant la première partie d’une trilogie.

 

Le prochain film sera tourné à Pékin

 

Le tournage du second film, intitulé « Running across Beijing », devrait commencer en mars prochain (2009).  Il dépeindra la vie de deux frères, l’un d’une trentaine d’années, l’autre de dix-sept ans, tous deux venus de la campagne et qui tentent de survivre à Pékin en falsifiant des pièces d’identité. Il s’agit d’analyser en profondeur l’interaction entre la ville et ses habitants : comment la ville change les gens, et, en retour, comment il modifient la ville.

 

Cai Shangjun veut donner de Pékin une image inhabituelle, qui superpose les diverses identités de la capitale telles qu’il les a vu évoluer depuis son enfance : le Pékin des années 50 aux immeubles de type soviétique, ou Allemagne de l’Est, le Pékin des années 70, qui commençait à se moderniser, puis celui des années 80, celles de l’ouverture et du prodigieux décollage économique, pour finir par le Pékin d’aujourd’hui aux immenses tours futuristes, et où les « vieux » Pékinois comme lui ont du mal à se retrouver.

 

Il compulse des livres et des livres de photos sur les villes chinoises, comme à son habitude la photo est une importante source d’inspiration. Il veut surtout éviter ce qu’il appelle « 对比 », le contraste, la confrontation entre divers niveaux urbanistiques, entre ville du présent et ville du passé, ce qui est la manière dont on présente habituellement la capitale. Il veut montrer une ville où tout ces aspects sont malgré tout intégrés. Peut-être une manière pour lui de se réconcilier avec la métropole, de lui donner un sens, un sens qui permette d’y vivre.

 

Pour filmer cette ville que tout le monde croit connaître mais qui échappe à toutes les définitions sinon à tous les clichés, il a choisi un œil étranger, celui du directeur de la photo de Wang Quan’an (王全安), en particulier pour « Le mariage de Tuya » (图呀的婚事: l’Allemand Lutz Reitemeier.

 

 

Le dernier de la trilogie se passera dans la province de l’Anhui

 

Ce dernier film a pour titre « Adrift time ». Il se passera cette fois en hiver ; parce que l’Anhui est une province plus méridionale, le climat y est plus doux, cela permet de diversifier l’approche temporelle (été, printemps, hiver). Un repérage de deux mois a déjà été réalisé. Le tournage devrait commencer pendant l’hiver 2009/2010.

 

L’équipe et le casting devraient assurer le succès du film. Le directeur de la photo sera en effet Wang Yu  (王昱), le chef op’ de Lou Ye qu’il n’avait pas réussi à avoir pour « The red awn », celui aussi qui a signé les superbes images de « Delamu » (茶马古道德拉姆, le dernier film de Tian Zhuangzhuang (田壯壯).

Quant aux acteurs pressentis, il s’agit du Taiwanais Chang Chen (张震) dans le rôle principal, tout à fait dans la lignée de ses rôles habituels (« Blood brothers », « Le maître de go », etc..) ; et, dans l’un des deux rôles féminins, rien moins que Tang Wei (汤唯) , la jeune égérie de Tony Leung dans « Lust.Caution » (1).

 

Le scénario est entièrement l’œuvre du réalisateur. Nous avions un premier film centré sur la campagne, un deuxième centré sur la capitale, ce troisième sera centré sur une petite ville de province, prolongeant ainsi les deux autres.

 

L’histoire se passe dans une petite ville que l’on pourrait dire sans histoire, traversée par une rivière qui déborde tous les ans, par une ligne de chemin de fer, comme beaucoup de petites villes. Bien qu’elle ne soit pas très prospère, elle attire toutes sortes de marginaux. Zhang Zhen en est un : il a une trentaine d’années, il a tué quelqu’un par hasard, au cours d’une dispute, et s’est enfui pour tenter d’échapper à la justice. Il s’est trouvé une nouvelle identité, et un emploi comme gardien de nuit dans un entrepôt de la gare. Toujours enclin à défendre la justice et le bon droit, il se fait un jour attaquer par une bande de malfrats ; blessé, incapable de travailler, il se fait licencier.

 

Sa réputation de justicier se répandant, cependant, les gens viennent lui demander aide et conseil ; finalement, il est nommé jury dans le cadre d’un procès et apprend là des rudiments du code pénal. Il tente alors de calculer quels pourraient bien être les termes de sa condamnation s’il se rendait à la justice, épilogue qui le tente de plus en plus pour mettre fin à une vie à l’avenir incertain..

 

Mais, après avoir vu « The Godfather » (superbe clin d’œil), il commence à changer d’optique et la mort de son meilleur ami finit par le convaincre que les moyens pacifiques ne sont peut-être pas les meilleurs pour défendre le droit de chacun à la « justice », à l’« équité », au « respect » et à la « prospérité », autant d’aspirations que lui et ses amis n’ont jamais pu concrétiser…

 

Le constat d’un monde cruel qui émanait des deux précédents films se fait ici plus amer encore : c’est le constat d’un monde en transition où rien n’est permanent, rien n’est sur, forçant la société entière à une errance sans fin, une dérive en quête d’identité et de certitudes. D’où ce terme de « drifting time » qu’il a choisi pour titre de son film et message symbolique, en quelque sorte, de sa trilogie.

 

Mieux vaut tout simplement traduire ses propres termes pour conclure :

 

« Nous somme tous à la dérive. A la dérive dans des villes en transition. A la dérive dans notre quête d’identité perdue et l’anticipation de sa redécouverte. A la dérive dans notre nostalgie du pays natal et notre quête indéfinie d’un avenir meilleur. A la dérive dans nos désillusions, blessures que nous subissons comme prix à payer de notre espoir en quelque chose de meilleur. A la dérive dans cette destinée sans issue qui est la nôtre. A la dérive, impuissants, dans le cours du temps qui est le cours de notre vie. Jusqu’où cette parade sans fin nous conduira-t-elle ? » (2)

 

La quête continue et la réponse est peut-être dans les films à venir…

 

 

(1) Voir articles sur ce film début janvier dans ce blog.

(2) extrait du dossier de presse – la traduction est la mienne.

 

 

 

 



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