Ouverture à Dali du premier ‘musée d’histoire du film rural chinois’

Publié le par brigitteduzan

C’est le dimanche 17 avril dernier qu’a été inauguré, à Dali, au Yunnan, le premier ‘musée d’histoire du film rural chinois’ (中国大理农村电影历史博物馆).

 

Un musée qui tend à promouvoir une culture cinématographique

 

Le musée est une initiative de la municipalité de Dali (大理), capitale de la préfecture autonome bai (白族自治州), les bai étant la nationalité minoritaire la plus importante de cette mosaïque d’ethnies qu’est le Yunnan (un peu plus de 30 % de la population).

 

Située à grosso modo égale distance de Kunming et de Lijiang, Dali a en effet un passé cinématographique glorieux qui fait partie de la culture locale et que la ville entend préserver tout en en faisant une curiosité touristique.

 

Le cinéma a en fait été introduit dans la ville par les missionnaires français, à la fin de la dynastie des Qing et au début de la période républicaine, soit au tournant du vingtième siècle. Ces missionnaires (传教士) projetaient des diapositives dans leur salle de réunion, et les gens de Dali ont appelé cet ancêtre du cinéma « les ombres électriques des missionnaires » (“电影”).

 

Par la suite, dès les débuts de la République populaire, le Yunnan est devenu un endroit privilégié pour tourner des films reflétant un certain exotisme lié au Yunnan dans l’imaginaire chinois, comme c’est le cas de manière générale des provinces limitrophes habitées par des minorités nationales ; ce courant a repris aux lendemains de la Révolution culturelle, au moment de la renaissance du cinéma chinois.

 

C’est ce passé qu’entend faire revivre le nouveau musée de Dali. Lancé avec un budget de 8 millions de yuans (environ 860 000 €), il a réuni une collection de quelque 6 200 pièces, par achat, don ou prêt. Présenté dans dix salles d’exposition, elles vont des films anciens eux-mêmes, aux affiches, photos et documents qui leur sont liés, en passant par l’ancien matériel, de tournage et de projection, et jusqu’aux vieux billets d’entrée. Le musée est lui-même installé sur le site d’un ancien cinéma du centre de Dali.

 

Mais ce qui est surtout intéressant, à mes yeux du moins, ce sont les films de la collection du musée, qui peuvent être projetés dans une salle spéciale.

 

Un musée à la mémoire des films tournés dans la région

 

Les films vont, en gros, du début des années 1950 aux années 1980, ce qui couvre plusieurs périodes historiques qui ont eu une influence sur l’émergence et le développement du cinéma chinois dans la Chine de Mao : les débuts de la République populaire avec la mise en place de la collectivisation, la brève période libérale et ouverte des Cent Fleurs (1956), la reprise en main politique postérieure (1957) puis le lancement du Grand Bond en avant (1958), période marquée par une extraordinaire expansion du cinéma en termes quantitatifs. Enfin, après la Révolution culturelle, le cinéma, comme la littérature, a vécu une renaissance en revenant à ses sources.

 

En même temps, la Chine nouvelle s’intéressait aux minorités nationales qu’il s’agissait d’intégrer dans une nation unifiée, tout en étudiant et documentant leurs coutumes, et en particulier les contes, chants et danses populaires. Le Yunnan devint un centre privilégié pour le tournage de films reflétant des traditions et coutumes relevant d’ethnies minoritaires. Mais, si les récits, chants et danses ont fait l’objet de recherches de terrain, les sujets sont traités en putonghua, et les personnages très souvent interprétés par les stars nationales du moment. Il n’y a pas de recherche de réalisme, au contraire : ce sont des films faits pour faire rêver, ou, à défaut, pour édifier.

 

Prenons quelques exemples.

 

1) 1954 : Caravans with Ring (《山间铃响马帮来》)

Film en noir et blanc de Wang Weiyi (为一), produit par les studios de Shanghai.

 

Le titre chinois du film signifie : le son des clochettes dans les montagnes annonce l’arrivée de la caravane… Il ne s’agit pas des caravanes de chameaux du Xinjiang, mais de celles de mulets approvisionnant les montagnes du Yunnan. Le film se passe pendant la guerre, à la frontière sud de la province, dans un village fortifié miao, et ces caravanes représentent un enjeu pour les diverses factions en lutte. La caravane du film est chargée d’approvisionner les troupes de Chang Kai-chek, mais elle est interceptée avec l’aide de la population locale. Il s’agit ici d’un film patriotique où l’aspect folklorique est marginal, et où le Yunnan est choisi pour son importance stratégique pendant la guerre, et pour ses paysages.

 

Le réalisateur, Wang Weiyi (为一), est représentatif de l’époque. Né en 1912 dans la province du Jiangsu, il a fait ses études aux Beaux-Arts à Shanghai, où il s’est lié avec l’acteur Zhao Dan (赵丹) et le réalisateur Xu Tao (), avec lequel il a réalisé, en 1948, « Impossible d’enfermer la lumière du printemps » (关不住的春光》). Comme les réalisateurs de sa génération, il a appris son métier avec les troupes de théâtre qui sillonnaient le pays pendant la guerre. Il a continué à tourner après la Révolution culturelle, son dernier film datant de 1999.

 

Photo du film http://baike.baidu.com/image/27d647eec44f73e8b2fb9513

Affiche : http://data.tv.sohu.com/movie/data/53304/index.shtml

 

2) 1959 :  « Five Golden Flowers »  (《五朵金花》)

Film de Wang Jiayi (王家乙)

 

Cette comédie est une sorte d’ovni dans la production cinématographique de la fin des années 1950, alors que le Grand Bond en avant bat son plein. Comme le dit Régis Bergeron : « il baigne dans une atmosphère de fraîche et joyeuse poésie, née de la nature même des aventures d’un jeune forgeron de village à la recherche de celle qu’il aime. » (1)

 

Le film se passe au moment d’une fête bai, la fête du « marché de mars » (“三月街”), qui comporte en particulier une course de chevaux. La charrette qui emmenait la directrice adjointe de la commune locale, Jin Hua, ou Fleur d’Or (金花), et quelques autres jeunes filles perd une roue dans une ornière ; elle est réparée par le forgeron A Peng (阿鹏) qui passait par là pour aller participer à la course de chevaux. Il la remporte et les deux jeunes gens tombent amoureux ; ils se promettent de se revoir l’année suivante, près d’une fontaine. Mais Jin Hua ne vient pas, et A Peng la cherche vainement partout, tombant sur diverses autres Jin Hua dans le cours de ses recherches…

 

C’est un film très enlevé, bien que marqué par un côté théâtral qui vient de la formation du réalisateur. Wang Jiayi (王家乙), né en 1919, a en effet été formé à l’académie Lu Xun, à Yan’an, où il est entré en 1940, comme acteur de théâtre. Il est ensuite entré en 1948 dans les studios du Dongbei, mais toujours comme acteur. Il a commencé sa carrière de réalisateur en 1950.

 

« Five golden flowers » a été tourné en quatre mois, avec le compositeur Lei Zhenbang (雷振邦) pour la musique : les numéros de chants (en putonghua) et de danse font un peu artificiels aujourd’hui, mais le film se laisse encore regarder avec plaisir. Les réactions sur internet montrent bien à quel point il a nourri le romantisme et les rires de toute une génération de jeunes Chinois(es) qui en achètent aujourd’hui le DVD pour le faire regarder avec nostalgie à leurs enfants et petits-enfants.

 

Le film (95’) : http://v.youku.com/v_show/id_XMTE5NTczMjg4.html

 

3) 1960 :  « Moyadai » (《摩雅傣》)

Un film de Xu Tao ()

 

Le film se passe à Xishuangbanna (西双版纳), au sud du Yunnan, avant et après 1949. Il s’agit d’une superbe histoire d’amour typique des films « de minorités nationales » du début de la décennie qui en est l’âge d’or (témoin aussi le film suivant : Ashima). Rien qu’en juin 1960, six films furent tournés chez les Tibétains, les Dong, les Dai et les Yi.

 

Une jeune fille de l’ethnie dai (傣族), Mi Han (米汗), ayant résisté aux avances du potentat local, Lao Ba (老叭), est jugée esprit pernicieux et condamnée à être brûlée  vive. Dix-huit ans plus tard, sa fille Lai Han (莱汗) tombe amoureuse d’un esclave libéré, Yan Wen (岩温). Mais il est convoité par la fille de Lao Ba qui fait condamner Lai Han à son tour comme sa mère. Elle s’enfuit avec son père, mais celui-ci meurt en chemin. Elle revient au village mais, voyant la mère de Yan Wen préparer des vêtements de noce, pense que celui-ci l’a trahie, et va se jeter dans la rivière. L’armée de Libération la sauve ; deux ans plus tard, elle devient le premier « Moyadai » des dai, c’est-à-dire un médecin. Elle revient au village pour soigner les gens et les guérir, en particulier, de leurs superstitions… et retrouve finalement Yan Wen qui dissipe le malentendu initial.

 

Le réalisateur Xu Tao () est un des grands réalisateurs de la période. Né en 1910 à Xuzhou, dans le Jiangsu, il entre en 1930 à l’académie des Beaux-Arts de Shanghai et devient l’ami de Zhao Dan (赵丹) et Wang Weiyi (为一) avec lesquels il participe à partir de 1932 à des troupes théâtrales dans la mouvance du théâtre de gauche, ou théâtre « progressiste » (进步戏剧).   En 1935, il devient membre du Parti communiste.

 

Après la défaite japonaise, il participe à la création de la société cinématographique Kunlun (昆仑影业公司) et y est engagé comme scénariste et réalisateur. Il prend part, en particulier (avec Zhao Dan), à la rédaction du scénario de « Corbeaux et moineaux » (《乌鸦与麻雀》) de Zheng Junli (1949). Après la libération de Shanghai, il entre aux studios de Shanghai.  En 1966, au début de la Révolution culturelle, il se suicide en se jetant dans le Qiantang.

 

Le film (107’) : http://www.tudou.com/programs/view/B0OC3WpT7Fc/

 

4) 1964 : « Ashima » (《阿诗玛》)

Un film de Liu Qiong (: premier film en couleur pour écran large.    

 

« Ashima » est un long poème narratif sani (撒尼), branche de l’ethnie minoritaire yi (彝族), qui a été écrit dans les années 1940, et publié à de nombreuses reprises. Dans la langue yi, Ashima signifie « aussi précieux et aussi brillant que l'or ». Elle est interprétée par l’actrice très populaire à l’époque du tournage, Yang Likun (杨丽坤), qui jouait déjà dans « Five golden flowers » de Wang Jiayi, cinq ans plus tôt.(2)

 

Photos du film http://baike.baidu.com/albums/20760/5088141.html#252841$

 

Selon la légende, la belle Ashima a été enlevée par le fils d'un méchant propriétaire et contrainte de l'épouser. Le garçon qui l’aimait, Ahei (阿黑), décide d'aller la sauver avec son arc et ses flèches magiques. Il affronte le fils du propriétaire en chantant trois jours et trois nuits et remporte la victoire. Mais sur le chemin du retour, Ashima meurt noyée dans une inondation, devenant ainsi ce que l'on connaît aujourd'hui comme le rocher d'Ashima : un rocher de la ‘forêt de pierres’ (3) qui ressemble à une jeune sani avec un foulard sur la tête et un panier en bambou sur le dos. 

 

Le conte a été l’objet d’études particulières en 1953. Puis, en 1959, Li Guangtian (李广田) (4) a fait des recherches complémentaires à son sujet ; son texte avec une préface a été publié en 1960. C’est alors qu’il a été adapté par Liu Qiong.

 

Liu Qiong (), né en 1925, débute au cinéma en 1934 avec un rôle dans un film de Sun Yu (). En 1947, il part continuer sa carrière d’acteur à Hong Kong ; il joue en particulier en 1951 dans « Phénix de feu » (《火凤凰》) de Wang Weiyi (voir plus haut). Mais, en janvier 1952, il est expulsé par les autorités britanniques, et rentre en Chine. Il est passé à la mise en scène peu après, réalisant une dizaine de films.  Il est mort en 2002.

 

5) 1979 : « From Slave to General » (《从奴隶到将军》) 

Un (très long) film de Wang Yan (王炎).

 

C’est une histoire qui commence en 1915 et se poursuit dix ans plus tard : un ancien esclave de l’ethnie yi devient sous-lieutenant, se marie et se trouve bientôt enrôlé dans les rangs du Guomingdang pour lutter contre les communistes. On le retrouve cependant dans l’Armée rouge. En 1940, il est réuni avec sa femme et ses enfants, mais c’est pour voir son fils aîné tué…

 

Wang Yan (王炎) est né à Yantai, dans le Shandong. En 1943 il termine ses études de théâtre à l’académie Lu Xun à Yan’an, devient acteur dans une troupe de la 8ème armée de route, et entre aux studios du Dongbei, puis devient scénariste et réalisateur aux studios de Changchun et enfin de Pékin.

 

 

C’est un film des lendemains de la Révolution culturelle qui revisite les thèmes familiers de la guerre de libération et de la lutte contre le Guomingdang.

 

6) 1982 : « Peacock Princess » (《孔雀公主》)

Co-réalisé par Zhu Jinming (朱今明), Su Fei (苏菲)et Xing Rong (邢榕) .  

 

A la base de ce film, en revanche, on retrouve un poème narratif comme pour « Ashima », mais de l’ethnice dai cette fois : « Zhao Shutun » (《召树屯》). Zhao Shutun est un prince dai tombé amoureux de la plus jeune des sept princesses Paon, Nanwu nuona (喃穆诺娜), à laquelle il a dérobé sa robe de paon pour qu’elle ne puisse plus s’envoler. Le royaume est alors attaqué par un voisin ; Zhao Shutun ayant subi des défaites, le magicien du roi son père convainc celui-ci que tout est de la faute de la jeune princesse, et elle est condamnée à mort. Mais elle retrouve son habit de paon et parvient à s’envoler. Quand Zhao Shutun revient triomphant de la guerre, ne la trouvant pas, il part à sa recherche… Grâce à trois flèches magiques, il parvient à vaincre les obstacles et à la rejoindre, tout en se débarrassant du magicien.

 

Le récit est traité comme un conte des mille et une nuits, avec une superbe bande son, les plus beaux morceaux (y compris celui accompagnant le générique au début) étant interprétés à la flûte hulusi.

 

Le film (sous-titres anglais)  http://www.youtube.com/watch?v=iWVCKsm-eQg

 

Zhu Jinming, né en 1915 dans le Jiangsu, était un ami de Zhao Dan. En 1947, il a débuté une carrière de directeur de la photo, pour « Spring River flows East » (1ère partie) (一江春水向东流上集), de Cai Chusheng/Zheng Junli (蔡楚生/郑君里). Il fut affecté aux studios de Shanghai en 1949, envoyé étudier à l’institut du cinéma de Moscou en 1954 pour deux ans, affecté ensuite aux studios de Pékin, où il est mort en 1989. « Peacock Princess »  est son 2ème film, après Cai Wenji (蔡文), en 1978, coréalisé avec Cheng Fangqian (陈方千), sur un scénario de Guo Moruo.

 

7) 1982 : « Yehena » (《叶赫娜》) 

de Chen Zhenghong (陈正鸿)

 

On retrouve avec ce film une histoire d’amour contrarié dans un contexte de conte de fées. Si le début des années 1960 fut bien un premier âge d’or de ce type de film sur des contes et légendes de minorités ethniques, le début des années 1980 en est un second…

 

Un nom trompeur

 

Le ‘musée d’histoire du film rural chinois’ porte donc un nom trompeur. Il ne s’agit pas d’un musée sur l’histoire du film rural, en général, mais un musée à la gloire de la riche tradition cinématographique de la région de Dali et de ses minorités ethniques, un musée sur les anciens films dits « de minorités » tournés dans la région. Il est intéressant de voir, sur ces bases, les progrès réalisés ces dernières années, en particulier dans le cinéma tibétain et mongol : des films réalisés par des metteurs en scène autochtones, et dans leurs langues d’origine. Mais au Yunnan aussi le mouvement est amorcé (5).

 

Il reste en fait à faire un véritable ‘musée d’histoire du film rural chinois’. Et il est peut-être significatif que, après une génération de cinéastes ayant traité de la ville, beaucoup en reviennent justement aujourd’hui aux sources : le monde rural.

 

On en prendra pour exemple un film programmé récemment au festival de Deauville, « The Old Donkey » (《老驴头》), de Li Ruijun (李睿珺), ou ceux de son directeur de la photo, Yang Jin (杨瑾).

(à suivre)

 

Notes

(1) In « Le cinéma chinois, 1949-1983 », L’Harmattan, 1983, p. 266.

(2) Elle subit de tels sévices pendant la Révolution culturelle qu’elle devint folle.

(3)Curiosité touristique : un dédale de pierres qui ressemble à une forêt, près de Kunming.

(4) Ecrivain, poète et essayiste, qui a fait des recherches sur la littérature des minorités nationales yi et dai.

(5) Voir par exemple « Le fusil de Lala » (滚拉拉的枪》) de Ning Jingwu (宁敬武) – article du 15 février 2009. 



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