En compétition à Shanghai : « Mr. Tree » de Han Jie, produit par Jia Zhangke

Publié le par brigitteduzan

« Mr Tree » (hello树先生》) de Han Jie (韩杰) fait partie des films en compétition pour le Golden Goblet au festival international de Shanghai qui s’est ouvert le 11 juin dernier.

 

Les marginaux de la croissance urbaine

 

Mr Tree est un jeune réparateur de voitures dans une petite bourgade dont les résidents doivent être relogés ailleurs car la mine locale empiète peu à peu sur la surface habitable ; Han Jie est originaire de la région minière du Shanxi, c’est pour lui une réalité concrète. Le pauvre garçon perd son travail, en trouve un autre dans la capitale provinciale, et épouse une jeune sourde-muette. Il n’arrive à trouver nulle part la dignité et la chaleur humaine dont il rêve.

 

C’est un film à la fois surréaliste et plein d’humour, qui reflète la vie des marginaux de la croissance urbaine. Le titre est emblématique, comme l’a expliqué le réalisateur : beaucoup de villages sont aujourd’hui abandonnés, même sans mine pour les menacer, les gens sont tout simplement partis travailler à la ville : les maisons sont effondrées, seuls les arbres survivent et continuent à pousser.

 

Le film était en cours de tournage, l’an dernier, lorsque se produisit un incident qui lui donna une profondeur inattendue : un sdf devint soudain célèbre quand un photographe amateur posta sur internet des photos anonymes de lui, hagard, échevelé et en haillons. Les photos déclenchèrent des recherches pour retrouver l’identité de l’homme, et il s’avéra que, souffrant de problèmes psychologiques, il errait dans la région autour de Ningbo après être parti de chez lui près de dix ans plus tôt.

 

L’histoire vraie était plus forte encore que le scénario, qui souligne les dangers des déplacements de population pour les individus soumis à la pression des événements, et l’inhumanité des grandes villes pour ceux qui ont du mal à s’y intégrer. Et si Mr Shu trouve un semblant de dignité à la fin, c’est de manière très surréelle, comme l’est la vie dans une société en changement trop rapide.

 

Un deuxième film d’un réalisateur prometteur

 

Né en 1977 dans le Shanxi, Han Jie (韩杰) a fait des études de production cinématographique et télévisée à Pékin, puis a travaillé comme chef opérateur sur quelques productions indépendantes. Il a réalisé son premier long métrage en 2006s “Walking on the Wild Side” (赖小子), qui a été présenté au festival de la Rochelle.

 

Trois adolescents errent dans une ville triste en se réfugiant de temps en temps dans la cabine d’un camion. Un jour, l’un deux ayant abusé d’une étudiante, les amis de la jeune fille veulent la venger ; l’un deux finit à l’hôpital, entre la vie et la mort. Les trois jeunes prennent la fuite, commençant une dérive qui se terminera mal.

 

Débutant par une séquence en noir et blanc qui semble sortir d’un western, le film conserve l’esprit du western même quand il passe ensuite à la couleur. Les trois jeunes ressemblent à des cow-boys ; ils se retrouvent sur la route après leur méfait, l’un d’eux part bientôt avec la voiture et l’argent, et les deux autres, trahis, sont éliminés.

 

Mais Han Jie a soigné son style plus que son histoire elle-même, ou plutôt l’histoire ne vaut que par le style : après l’introduction en noir et blanc, le film est bâti autour de la séquence dramatique du règlement de compte, filmée au ralenti, comme si le temps s’arrêtait, et que celui qui allait reprendre ne serait plus jamais le même. Enfin, le film passe en accéléré vers la fin, les événements se précipitant jusqu’au dénouement final. Aucun des personnages n’est sympathique, la ville est grise, l’avenir incertain. On a le sentiment que seul le film peut permettre d’échapper à cette grisaille ambiante, mais ce n’est encore qu’une illusion.

 

C’était donc un premier film très intéressant, qui laissait curieux de la suite. Avec le second, cependant, le contenu prend le pas sur la forme, et les recherches stylistiques sont abandonnées au profit de la satire sociale. En même temps, le film est beaucoup plus tourné vers le grand public et le box office, avec une grande partie de son impact provenant du jeu de l’acteur très populaire Wang Baoqiang (王宝).

 

L’affiche et l’acteur : http://ent.sina.com.cn/m/c/2011-06-15/04163334414.shtml

 

Travailleur migrant lui-même quand il était adolescent, il a quitté son Hebei natal pour aller à Pékin où il a travaillé sur des chantiers de construction avant de faire de la figuration. C’est le film de Feng Xiaogang (冯小刚) « A world without thieves » (天下无) qui l’a rendu célèbre, en 2004, sans qu’il ait jamais reçu de formation spéciale. Il est resté spécialisé dans les rôles de personnages simples, voire vaguement naïfs.

 

L’appui de Jia Zhangke

 

Signe, s’il en fallait, de sa qualité et de son originalité stylistique, le premier long métrage, « Walking on the Wild Side », a été produit par Jia Zhangke (贾樟柯) et sa compagnie Xsream Pictures, créée avec Yu Lik-wai et Chow Keung. Han Jie a été son assistant pour « The World » (《世界》) en 2004, « Still Life » (三峡好人) en 2006, et même “Wuyong” (《无用》) en 2007. Peut-être parce qu’ils sont tous les deux originaires du Shanxi (c’est très important en Chine), les deux hommes semblent s’entendre à merveille.

 

C’est à nouveau Jia Zhangke qui a produit « Mr Tree », confirmant la mission que s’est fixée le cinéaste d’aider les jeunes réalisateurs de valeur à émerger, en un temps où le cinéma chinois est devenu une « industrie » et ne s’occupe plus que de « marché », au détriment de ses spectateurs et de son public.

 



Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article