« Le facteur de Shangri-la » : un petit bijou de justesse et de sensibilité

Publié le par brigitteduzan

Festival du cinéma chinois de Paris : vendredi 25 septembre 2009 

 

Couronné en Chine d’un Coq d’or de la meilleure musique (bien mérité) et d’un Huabiao award du meilleur film, remarqué au festival de Montréal en 2007 (1), et depuis lors dans tous les festivals où il est passé,  « Le facteur de Shangri-la » (pour une fois traduction exacte du titre chinois香巴拉信使)nous arrivait nimbé d’une aura médiatique qui fait toujours craindre de sortir déçu. Mais c’est un film qui mérite sa réputation et vaut le déplacement, surtout quand on sait combien il est difficile d’en obtenir une copie.

 

Le scénario part d’une histoire vraie, celle d’un facteur qui, dans le sud-ouest du Sichuan, dans le district de Muli (木里县), a passé vingt et une années de sa vie à parcourir à pied les sentiers de cette région montagneuse pour aller porter courrier et paquets dans les villages reculés et isolés dont il était le seul lien avec l’extérieur. Dans le film, il s’appelle Wang Dahe (王大河).

 

Le film le suit dans l’une de ses tournées, avec son unique compagnon, son vieux cheval, Jing Long (金龙, dragon d’or). C’est une tournée qui s’annonce particulièrement difficile, parce qu’on lui a demandé de repartir alors qu’il vient juste de rentrer de la précédente, pour remplacer un collègue malade. Il est fatigué, son cheval est malade, mais il n’aura droit qu’à une nuit de repos car, parmi les trois lettres qu’il doit emporter, la troisième est urgente et d’une importance cruciale : elle avise un étudiant du nom de Wang Yusheng qu’il a été admis au concours d’entrée à l’université ; il faut non seulement lui remettre la lettre, mais aussi le ramener.

 

Mais il faut d’abord le trouver, ce Wang Yusheng (王雨生). Au village indiqué sur l’enveloppe, personne ne le connaît, le nom ne figure même pas sur le registre des habitants. Wang Dahe est renvoyé d’une piste à une autre, jusqu’à ce qu’il découvre que le Yusheng en question s’appelle en fait Xiangqiu (翔秋) et que c’est une fille. Qui plus est, elle est partie dans un village éloigné, à une journée de marche, pour se marier !

 

Et voilà Wang Dahe reparti dans la montagne, sous des trombes d’eau, par des chemins glissants, rendus dangereux par la pluie, pour porter la bonne nouvelle à la jeune fille. Mais ce n’est pas une bonne nouvelle pour tout le monde, et certainement pas pour la famille du fiancé. Il faudra que Wang Dahe, après moultes péripéties, se porte caution du retour au village de la jeune fille à la fin de ses quatre années d’études pour que la famille la laisse partir. Le chemin du retour est jalonné d’incidents, Wang Dahe finit à l’hôpital, mais Yusheng part étudier en ville. Wang Dahe a gagné son pari.

 

Evidemment, on se dit que le scénario a condensé dans cette tournée mémorable des incidents qui ont dû arriver, sans doute, au personnage véritable, mais échelonnés dans le temps. Pourtant, rien ne semble forcé, aucun effet n’est appuyé, même les allusions à la politique gouvernementale (politique de santé ou politique environnementale) restent factuelles. Le film est un hommage ému et émouvant à ce qui aurait été en d’autres temps un héros socialiste statufié. Wang Dahe, lui, est un petit frère du juge Feng ; c’est un personnage vivant, réel, dont la ferveur avec laquelle il remplit sa mission a quelque choses de touchant, par la simplicité béate avec laquelle il admire la réussite de l’étudiante, et met tout en œuvre pour qu’elle puisse continuer des études considérées comme le sceau de la réussite sociale, et la promesse d’une vie plus facile.

 

Le film pose comme en passant, sans discours dogmatique superflu, des questions profondes sur l’évolution de la société chinoise, l’importance des valeurs traditionnelles de solidarité et d’entraide, des valeurs éducatives et culturelles aussi, en particulier dans un contexte régional où coexistent diverses minorités nationales dont les cultures traditionnelles sont aujourd’hui menacées par le développement économique et le désenclavement des villages.

 

Il faut saluer la prestation de l’acteur principal, Qiu Lin(邱林), surtout connu en Chine comme acteur de films télévisés, mais qui a acquis une certaine notoriété internationale depuis son rôle dans le film de Zhang Yimou sorti en 2005 « « Riding for thousand miles alone » (千里走单骑). Il est d’une telle justesse, il irradie une telle bonté naturelle qu’il donne une grande humanité au personnage.

 

Quant au réalisateur, Yu Zhong (俞钟), c’est une découverte. Passé par le centre d’art dramatique de Pékin dont il est sorti diplômé en 1989, il est ensuite entré, en 1994, à l’institut du cinéma de Pékin, section réalisation, en qualité de doctorant. Son premier film date de 1997, et c’est une série télévisée, dont il a depuis produit plusieurs autres. C’est un film de 2001 qui l’a fait connaître en Chine : 我的兄弟姐妹(« Roots and branches ») . Il a récemment tourné un film pour Walt Disney Pictures : « Trail of the panda » (《熊猫回家路》 ) qui révèle un autre aspect de son talent (2). On attend son prochain film avec impatience.

 

Notes

(1) mais, à ma connaissance, non primé, contrairement à ce qu’a annoncé Luisa Prudentino lors de sa présentation, avant la projection du film.

(2) Filmographie :

[1995 Projet de fin d’étude : série en 8 épisodes 《城市的B面》]

1997 Série TV « historique » en 20 épisodes寇老西儿

2001 我的兄弟姐妹 « Roots and branches »  avec Cui Jian (崔健)

2002 我的美丽乡愁(乡愁 xiāngchóu mal du pays, homesickness)

2006 Série TV en 23 épisodes  谁怜天下慈母心(qui a pitié du cœur aimant d’une mère)

2008 Série TV d’espionnage en 28 épisodes : 眼中钉

2009 《熊猫回家路》 « Trail of the panda » (Walt Disney pictures)

Trailer Disney http://www.youtube.com/watch?v=05j_1UaI0r4

         Série TV在那遥远的地方》Toute dernière réalisation, sortie en août.

 

Photos :

http://tupian.hudong.com/a2_38_58_01300000291092124836589152908_jpg.html

 



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