Gao Xiongjie : enfant de Yongkang
Gao Xiongjie (高雄杰) était de passage à Paris, hier 14 février, pour présenter à lInalco son dernier film, « Wang Liangs ideal » (《王良的理想》), après lavoir fait les jours précédents au festival de Vesoul où le film était en compétition (1).
1. « Wang Liangs ideal »
Le film est certainement dune facture originale qui mérite un détour. Tourné caméra au poing, dans un style volontairement proche du documentaire, il sen éloigne cependant par lattention portée à la direction dacteurs et une construction élaborée en plans séquences qui en font un film techniquement abouti. Comme laffirma cependant le réalisateur à plusieurs reprises lors du débat qui suivit la projection, la technique nest pas le plus important, ce qui lui tient le plus à cur, cest de transmettre une émotion, celle quil a lui-même ressentie lorsquil a lu lhistoire à la base du scénario.
Un fait divers
Le scénario a été élaboré à partir dun fait divers de quelques lignes dont Gao Xiongjie fit dabord une nouvelle. Cest lhistoire dun boucher qui a épousé une jeune fille dune famille pauvre dont il a épongé les dettes au passage. Sa jeune épouse, cependant, lui a fait promettre de ne pas la forcer à coucher avec lui tant quelle na pas terminé ses études, pacte quil respecte, difficilement mais scrupuleusement.
Le jour de lexamen, cependant, la jeune femme a un malaise, dû à la tension et à la chaleur, qui lempêche de terminer les épreuves. Déprimée à lidée de devoir revenir assumer son statut dépouse, elle décide de rester en ville et de tenter de gagner sa vie comme elle peut, et elle échoue dans un salon de massage, amorçant une lente descente aux enfers. Son mari, lui, ne renonce pas à son idéal dune vie de famille avec elle, et part la chercher. Quand il la retrouve enfin, le dénouement nest pas celui attendu
Réalisation en deux temps
Gao Xiongjie songea peu à peu à adapter la nouvelle au cinéma, mais sans trop savoir comment. Cest alors quil fut linvité du festival des Trois Continents, à Nantes, et, sur le chemin, passa par Angers, la ville natale dAndré Bazin, le grand théoricien du réalisme au cinéma et du « montage interdit », et le grand maître que se reconnaissent nombre de réalisateurs chinois contemporains, dont Jia Zhangke. Il revint à Pékin avec une idée précise de la manière dont il allait réaliser son film.
Avec un budget de 20 000 euros, il tourna le film à Pékin, avec des acteurs de lInstitut dart dramatique dont il est lun des professeurs. Le résultat, cependant, ne correspondant pas à ses exigences, il jeta la pellicule aux orties et partit dans son village natal, Yongkang (永康), près de Jinhua dans le Zhejiang ; il tourna une nouvelle version, cette fois en dialecte local, avec des acteurs non professionnels (à lexception dun rôle secondaire) (2). Le tournage en caméra portée ne fait quaccentuer le caractère de réalisme documentaire que le film acquit ainsi.
Beauté des transitions musicales
Lors de sa présentation, Gao Xiongjie a bien souligné que son objectif principal était de transmettre lémotion que cette histoire avait suscitée en lui. Malheureusement, il a opté pour un style très dur, dun réalisme sans aménité et totalement froid, avec un personnage féminin muré dans un semi mutisme qui défie toute tentative de communication.
Comme la remarqué un spectateur, se référant à lassertion du réalisateur quil se rattache plutôt, par affinité, à la cinquième génération, ses personnages rappellent certains de ceux de Zhang Yimou, mais sans leur teneur émotionnelle. On reste froid devant des images volontairement glaciales.
La force émotionnelle et poétique que possède tout de même le film réside dans les transitions musicales qui viennent, avec le passage du temps, ponctuer et commenter les principales séquences. Ce sont de véritables tableaux, avec le poème chanté calligraphié sur le côté de limage, que lon voit revenir régulièrement avec un plaisir renouvelé.
Il sagit dune forme locale très ancienne de quyi (曲艺), ces ballades chantées qui sont une forme dart populaire remontant à une tradition orale immémoriale : en loccurrence le guci (鼓词), sorte de parler-chanter sur une mélodie simple (单口说唱), accompagné aux claquettes. Cest dune beauté très pure, qui conserve quelque chose doriginel. On reste sous le charme de ces chants.
Chose quon dit peu, les parents de Gao Xiongjie étaient des acteurs dune troupe itinérante dopéra wu (婺剧), lopéra local de la région de Yongkang. Il a donc baigné dans cette musique pendant toute son enfance. Dailleurs, lun des premiers films quil a réalisé, son travail de fin détudes, en quelque sorte, est un documentaire sur ces chants, intitulé « Bribes de chants au loin dans les montagnes » (《山远歌残》).
On se prend à regretter que le film nait pas adopté une forme plus poétique qui donne tout leur sens à ces transitions musicales ; dans létat actuel des choses, elles restent étrangères au reste du film, impossibles à intégrer dans sa forme par ailleurs semi documentaire, et donc rendues quelque peu artificielles, ce qui est vraiment dommage.
2. Note complémentaire sur le réalisateur
Natif de Yongkang (永康), Gao Xiongjie a commencé sa carrière en travaillant pour des chaînes de télévision locales : télévision de Jinhua, du Zhejiang, et de Qianjiang (金华电视台、浙江电视台、钱江电视).Son premier travail a été la réalisation de documentaires et démissions dactualités, avant de passer à celle de films télévisés et de feuilletons.
Puis, en 1993, il est entré à lécole des Studios de Pékin, dans la section télévision, avec pour professeur le grand théoricien de la réalisation télévisuelle, Zhu Yujun (朱羽君). Cest en 1995 quil a réalisé son documentaire sur le guci, suivi de quelques autres sur son pays natal.
Depuis lors, il a partagé son temps entre le professorat, à lInstitut dart dramatique de Pékin, lécriture de scénarios (3), la rédaction douvrage de théorie sur le cinéma, et la réalisation de films : fiction, documentaires et même publicité.
Parmi ses films de fiction récents, un pseudo policier en 2006, « Lopposition du noir et du blanc », ou « No Way Out » (《黑白对抗》), mais les autres sont surtout des comédies télévisuelles, comme « Blind Date » (《相亲奇遇》) ou « je ne suis pas une étudiante » (《我不是女生》), en 2007.
Il est possible que ce soit en réaction à ce genre quil ait opté, pour « Wang Liangs ideal », pour un style froid et sans concession. Il est possible aussi que ce soit une transition : il annonce, pour sa prochaine réalisation, un film plus chaleureux, tourné en Sibérie
Notes
(1) Voir article du 2 février 2011
(2) Lacteur principal, Fang Ye (方野), est depuis lors devenu célèbre.
Photos du film : http://blog.sina.com.cn/s/blog_50bb25570100f9x6.html
(3) Lun des derniers étant le scénario du film réalisé en 2008 par Hasi Chaolu (哈斯朝鲁) « Meng Erdong » (《孟二冬》).Hasi Chaolu, cest le réalisateur du « Vieux barbier » et de « Urtin Duu » ; il ségare ici dans une apologie dun professeur émérite continuant ses cours et ses recherches en dépit dun cancer, mort en 2006 et érigé post mortem en nouveau héros socialiste par le président Hu Jintao. Mais cétait, il est vrai, lépoque des Jeux olympiques