« La vallée de la rivière rouge » de Feng Xiaoning : superbes images mais discours obsolète

Publié le par brigitteduzan

(Projeté au Centre culturel de Chine à Paris, le samedi 20 décembre 2008)

 Feng Xiaoning (冯小宁), né en 1954, fait partie de cette génération de réalisateurs chinois entrés à l’Académie du film de Pékin aussitôt après la Révolution culturelle, en 1978. Diplômé en 1982, il est sorti en même temps que les grands cinéastes de la cinquième génération, Zhang Yimou, Chen Kaige ou Tian Zhuangzhuang. Comme Zhang Yimou aussi, il a d’abord étudié la photographie, optant pour la direction une fois sorti. Mais le parallèle s’arrête là.

 Le contexte historique

 « La vallée de la rivière rouge » (traduction littérale du titre chinois红河谷) , tourné en 1996,  est basé sur le livre de Peter Fleming « Bayonets to Lhasa » (1) qui a pour thème l’histoire réelle de l’expédition britannique de 1904 au Tibet, un événement historique qui nécessite quelques explications.

 Les Britanniques tentaient depuis le dix-neuvième siècle d’obtenir des droits de commerce et d’exploration au Tibet en traitant directement avec les Chinois. Au tout début du vingtième siècle, c’est la peur d’une expansion russe dans la région de l’Hindu Kush doublée d’une présence au Tibet qui, en 1902, incita le vice-roi des Indes, Lord Curzon, à envoyer le major Younghusband en mission au Tibet pour tenter d’y établir une légation. Celui-ci se lança cependant en 1903 dans une expédition militaire pour tenter d’imposer l’hégémonie britannique sur le Tibet, expédition qui se termina par l’occupation de Lhassa le 2 août 1904, forçant le 13ème dalaï-lama à fuir ; suivit un accord imposé au gouvernement local qui conférait au Royaume uni des avantages commerciaux exclusifs.

 

Il ne fut pas ratifié par le représentant à Lhassa du gouvernement mandchou, et resta donc lettre morte. Cette campagne avortée eut cependant des conséquences importantes pour la suite des relations sino-anglo-tibétaines. En 1904, la position officielle du gouvernement britannique était très claire :le chef de la diplomatie de l’époque, Lord Lansdowne, dans une instruction officielle, avait désigné le Tibet comme « une province de l’Empire chinois ». L’échec de la campagne de Younghusband et de l’accord de Lhassa modifia la donne : le gouvernement britannique chercha dès lors à affaiblir la Chine en soutenant les tendances séparatistes au Tibet.

 

« La vallée de la rivière rouge » 

 Rien de cette complexité géopolitique ne transparaît dans le film de Feng Xiaoning. On aurait aimé un traitement un peu plus fin d’un sujet aussi délicat. Le film est centré sur l’histoire d’une jeune Chinoise qui, au début du siècle, sur le point d’être sacrifiée au dieu du fleuve pour faire revenir la pluie après une longue sécheresse, est sauvée par son frère ; mais ils doivent se précipiter dans le fleuve pour échapper à leurs poursuivants. Recueillie par une vieille paysanne tibétaine, Ying Zhen tombe amoureuse de son fils, Gesong. Ils sauvent un jour un explorateur britannique et son interprète qui ont été emportés par une avalanche. Malgré cela, l’explorateur reviendra avec une armée et exterminera les Tibétains mal armés.

 Le film dure deux heures, et il faut dire qu’il y a des images splendides de la montagne tibétaine, rappelant que Feng Xiaoning a d’abord eu une formation de photographe. Pour le reste, nous avons un scénario qui donne une image caricaturale aussi bien des Tibétains que des Britanniques, doublée d’une histoire romanesque de rivalité entre la jeune « étrangère » et la fille du seigneur local qui se disputent le cœur de Gesong.

 Une légende tibétaine tient lieu de fil conducteur, mais est réduite à un leitmotiv qui perd de sa force à être trop répété. Feng Xiaoning a traité les coutumes tibétaines comme on le faisait autrefois dans le cinéma chinois : comme un faire-valoir exotique dénué de toute authenticité. On a du mal aujourd’hui, en particulier, à accepter des chefs coutumiers tibétains s’entretenant avec leur entourage dans un putonghua châtié.. La population tibétaine apparaît du coup comme des figurants d’opérette, malgré des interprètes superbes. Mais ils sont quand même plus véridiques que les Britanniques qui battent tous les records dans la caricature : le major déclare à longueur de séquences vouloir diffuser la civilisation britannique, et l’interprète au grand cœur est horrifié de voir ce programme se traduire en carnage. Les dialogues tiennent de la bande dessinée pour amateurs de séries télévisées.

 La conclusion finale, dans la bouche de l’interprète britannique, est caractéristique du style général : il restera toujours des Tibétains, derrière eux il y a tout l’Orient, et jamais l’empire britannique ne pourra en venir à bout.

 Il reste un paysage de légende, de superbes acteurs, une très belle chanson tibétaine, et le grand regret que tout cela n’ait pas été mieux mis en valeur.

 Deux trilogies qui se veulent édifiantes

 « La vallée de la rivière rouge » est le premier film d’une « trilogie de la guerre » qui présente peu ou prou le même caractère primaire. “Lovers’s grief over the Yellow River” (黄河绝恋), sorti en 1999, et “Purple Sunset”  紫日en 2001, sont deux films sur la guerre sino-japonaise. Le premier conte l’histoire d’un pilote américain qui, après s’être écrasé derrière les lignes ennemies, est découvert par un groupe de partisans chinois qui le soignent.  L’Américain finit par tomber amoureux d’une farouche combattante et les deux luttent finalement ensemble contre les troupes japonaises. “Purple Sunset” , pour sa part, raconte les péripéties d’un paysan chinois du Hebei laissé pour mort par les Japonais lors d’une exécution collective d’une poche de résistance chinoise, et sauvé par un soldat russe ; dans le cours de leur commune escapade, ils rencontrent une Japonaise qui se joint à eux, et les trois finissent par se lier d’amitié.

 Ces deux œuvres sont des films à thèse dénonçant d’une part les atrocités commises en Chine par le Japon, d’autre part louant l’amitié entre les peuples. Feng Xiaoning a déclaré se sentir une responsabilité dans la préservation de la mémoire collective, déplorant en particulier le manque de patriotisme de la jeunesse chinoise actuelle. On est là dans la tradition chinoise de littérature édifiante à destination du peuple. La démonstration est cependant tellement appuyée que l’on peut douter qu’elle ait aujourd’hui les résultats escomptés.

 Feng Xiaoning a depuis 2001 abandonné les thèmes guerriers pour se tourner vers l’environnement qui avait déjà été le sujet de son premier film : , et tourner une nouvelle trilogie sur le thème à la mode de l’harmonie de l’homme avec la nature, qui est l’un des thèmes les plus profonds de la pensée chinoise. Malheureusement, il les aborde le même esprit démonstratif primaire.

 En 2001, “Gada Meilin” 《嘎达梅林》contait l’histoire d’un chef tribal mongol qui se battit dans les années 1930 pour préserver les terres du clan, luttant non seulement contre l’injustice, mais aussi contre la désertification : Gada Meilin est un véritable héros mongol, quasi mythique. En 2007, “A Railway in the Cloud” 青藏线retraçait l’épopée de la construction de la ligne de chemin de fer Goldmud-Lhassa, et les sacrifices humains qu’elle a demandés ; le scénario a rajouté une histoire d’amour sacrifié dans une tourmente de neige qui en fait un mélo larmoyant.  

 Enfin, cette année, en octobre 2008, est sorti « Super Typhon » 超强台风, salué comme le film-catastrophe chinois, basé sur les événements réels qui se sont produits il y a deux ans, lorsque le typhon Saomai a frappé la province du Jiangsu. Feng Xiaoning a voulu émettre comme un avertissement à ses compatriotes : « Le peuple chinois, comme beaucoup d’autres dans le monde, ont connu des désastres sans précédent ces dernières années.. Ce film est destiné à le prévenir : ce sont nos activités qui causent ces tragédies. Si nous n’arrêtons pas tout de suite, nous aurons à faire face à une ère de désastres. »

 Le film, utilisant à la fois images d’archives et effets spéciaux, n’est malheureusement pas à la hauteur de ces intentions. Il suffit de regarder le bref trailer ci-dessous pour avoir une idée du style :

http://wildgrounds.com/index.php/2008/10/16/trailer-super-typhoon-2008-feng-xiaoning/

 Un réalisateur qui reste prisonnier de schémas obsolètes

 Feng Xiaoning est un rescapé d’une période récente de l’histoire chinoise qui a sonné le glas du développement du cinéma chinois pendant de nombreuses années.

 Son père était un spécialiste de raffinage pétrolier à l’Institut du pétrole de Pékin. En 1957, il a été accusé de « droitisme » ; en 1967, au début de la Révolution culturelle, il a été à nouveau persécuté, et finalement tué, à l’âge de 44 ans. Feng Xiaoning, à l’âge de 15 ans, était fondeur dans une usine de maintenance dépendant du  complexe pétrochimique où travaillait son père. Pendant toute la Révolution culturelle, comme Zhang Yimou, il n’a pu étudier, les cursus étant suspendus. Ce n’est qu’en 1978 qu’il a pu enfin intégrer l’Institut du cinéma de Pékin. Mais il semble qu’il n’a jamais pu se libérer totalement de schémas de pensée hérités d’une période où l’idéologie était reine. Il fait tristement figure d’un dinosaure rescapé de la grande extinction de l’espèce.

 *

(1) Peter Fleming (1907-1971) est un aventurier et écrivain britannique, auteur de récits de voyages ; il est le frère de Ian Fleming,, qui, dit-on, s’inspira de son frère pour créer le personnage de James Bond. Dans les années 1930, il fut correspondant pour le Times. Entre autres voyages, il entreprit en février 1935, avec la journaliste suisse Ella Maillart, une équipée de sept mois en Chine, parcourant quelque 6 000 km de Pékin au Cachemire en passant par les déserts d’Asie centrale. Il faisait partie du service de renseignement militaire britannique, et son objectif était de faire le point sur la situation au Turkestan chinois (le Xinjiang) pendant la guerre civile. A la suite de ce voyage, en 1936, Fleming publia News from Tartary, qui reste son ouvrage le plus célèbre

C’est en 1961 qu’il a publié « Bayonets to Lhasa : the first full account of the British invasion of Tibet in 1904 ».

Pour écrire le livre, P Fleming consulta les archives officielles du British Foreign Office ainsi que les notes personnelles de Sir Francis Younghusband, et rencontra nombre d’officiers survivants de la campagne. C’est un ouvrage sérieusement documenté.

  



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F
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Q
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