« Urtin Duu » de Hasi Chaolu hommage personnel à une tradition de chant deux fois millénaire
Panorama du cinéma chinois prochaine séance au Max Linder, lundi 8 à 14 heures.
Duu désigne un chant traditionnel mongol qui peut prendre deux formes : une forme courte, ou boghino duu, sans vocalises et dun rythme rapide, et une forme longue, ou urtin duu : dans ce cas, le chant est construit en strophes, avec des passages fréquents de la voix de gorge à la voix de tête. Ce sont des chants dont lorigine remonterait au septième siècle de notre ère, quand le mode de vie des Mongols a commencé à évoluer, dune vie de chasseurs à une vie de nomade dans les prairies de la Mongolie occidentale. Evidemment, il sagit là dune tradition orale qui sest transmise de génération en génération, et prend des formes variées en fonction des événements quelle célèbre.
Hasi Chaolu (哈斯朝鲁), lui-même dorigine mongole (1), a voulu apporter sa contribution à la transmission de cette tradition qui nintéresse que marginalement les jeunes générations qui, pour la plupart, ne parlent même plus la langue mongole. Lurtin duu a été classé « Héritage oral intangible de lhumanité » par lUNESCO en 2005. Invité par le « Panorama du cinéma chinois » à présenter son film, Hasi Chaolu sest déclaré en être plus attristé que réjoui : il trouve en effet triste que lon doive recourir à de telles mesures pour éviter que disparaisse une telle tradition. Chaque Mongol a sa propre version de lurtin duu, dit-il, et son film est sa version personnelle, son urtin duu à lui.
« Urtin Duu » (《长调》) se passe dans la région de lOrdos, en voie de désertification quasi-totale, ce qui est un problème supplémentaire pour la préservation de la culture locale. Une chanteuse spécialiste de ce « chant long » traditionnel habitant Pékin, Qiqige (其其格), décide de revenir chez elle, en Mongolie, après la mort accidentelle de son mari dont elle se sent responsable : il travaillait dans un club hippique dont il voulait racheter un cheval mongol pour le remettre en liberté ; comme elle sy opposait, il était parti en claquant la porte et sétait fait renverser par une voiture.
Le traumatisme lui ayant fait perdre sa voix, après une tentative de suicide, elle entreprend donc un voyage qui est comme un retour aux sources. Sa voiture layant lâchée en chemin, un chemin que le réalisateur nous fait parcourir peu à peu, en suivant la désertification progressive du paysage, elle finit à pied, dans un cadre grandiose de montagne balayée par le vent Quand elle arrive, elle apprend que la chamelle préférée de son mari est morte en donnant naissance à un bébé chameau qui, depuis lors, revient pleurer à lendroit où sa mère a été enterrée, sous un arbre desséché. On a là une image empreinte dune très forte symbolique : la chamelle meurt comme meurent la culture locale et les chants traditionnels, mais en laissant derrière elle un jeune et fragile chameau auquel il convient dès lors de trouver un substitut de mère.
La quête de Qiqige sachève lorsque sa mère a enfin trouvé une chamelle qui, elle, vient de perdre le bébé chameau quelle venait de mettre au monde. Le problème, cest quelle refuse de nourrir lautre et se dérobe quand on tente de le faire approcher. La mère de Qiqige commence alors à chanter, un chant traditionnel appelé 《劝奶歌》(le chant pour encourager à allaiter) (2). Qiqige retrouve alors sa voix, et se met à son tour à chanter, dune voix dabord enrouée, puis de plus en plus claire. La chamelle se calme et laisse le petit chameau venir téter. On semble voir une larme couler de son il aux long cils...
Cest un film au rythme lent, au style qui se veut très simple, interprété par des acteurs non professionnels qui ne jouent pas un rôle, mais se contentent dêtre eux-mêmes, et, ce faisant, donnent au film une authenticité immédiate qui rappelle par moment le « Chien jaune de Mongolie » ; mais le ton est ici beaucoup plus austère, et lenjeu plus dramatique.
Alatan Qiqige est, dans la vie, lune des chanteuses durtin duu les plus célèbres en Chine aujourdhui; elle lenseigne également. Sa mère, qui joue aussi dans le film, Da Xima, une vieille dame de 74 ans qui chante encore remarquablement bien, est elle-même chanteuse durtin duu et a transmis la tradition à sa fille. En ce sens, le film plonge vraiment dans la tradition de transmission orale de ce chant. La musique du film est signée Chagan (查干), musicien et chef dorchestre que lon voit apparaître dans ce dernier rôle lors dun concert de Qiqige à Pékin, au début du film.
Cette séquence, à mon sens, donne toute la dimension tragique des efforts déployés pour préserver des cultures qui se meurent aujourdhui tout simplement parce que changent les modes de vie. Le chant quinterprète Qiqige dans cette séquence est, sauf erreur, lun des grands chants durtin duu, 《金色圣山》(la montagne sacrée couleur dor). Elle est là mise en scène comme une véritable aria dopéra, accompagnée par un orchestre symphonique jouant sur instruments modernes. Cest superbe, indéniablement. Mais on reste songeur : cette musique traditionnelle était liée à la vie, navait tout son sens que comme célébration quasi religieuse dune existence très proche de la nature. La tradition préservée devient une reconstruction intellectuelle en milieu urbain, une mise en boîte luxueuse pour consommateurs nostalgiques.
Les dernières images du film sont une vision onirique du mari de Qiqige séloignant au galop comme il était parti des années plus tôt pour aller travailler à la ville, et faisant reverdir au passage le désert sous les sabots de son cheval. Cela peut être compris comme une image despoir, espoir dans un avenir où la vieille culture mongole aura retrouvé son aura grâce aux efforts de chacun ; on peut aussi y voir une vision nostalgique dun passé qui nest déjà plus.
Cest cette douloureuse ambiguïté qui donne toute sa profondeur au film. On y sent lhommage ému dun enfant du pays qui revient sur ses origines. Mais il en est lui aussi déjà loin
Extraits http://video.aol.com/video-detail/urtin-duu/554641268/?icid=VIDURVENT05
http://dailymotion.alice.it/cinemachinois/video/x7hr9b_urtin-duu-de-hasishaolu_shortfilms?from=rss
(1) Hasi Chaolu est le réalisateur du superbe « Vieux barbier » (《剃头匠》) sorti lan dernier, qui déjà mettait en scène les derniers moments dune vie traditionnelle en voie de disparition car liée aux vieux hutong de Pékin (voir article du 7 mars dernier).
Comme je lui demandai quelle avait été la genèse d« Urtin Duu » , il ma répondu quil lavait « porté en lui » pendant des années. Il se proclame « réalisateur amateur » parce quil nest pas passé par lAcadémie du film de Pékin, qui nest finalement pas si incontournable que lon voudrait nous le faire croire.
Né en 1966, il a fait des études de littérature à luniversité de Mongolie intérieure dont il est sorti diplômé en 1989. Il a commencé à écrire des scénarios puis à réaliser des films pour la télévision. Il est passé à la réalisation parce que, dit-il, certains de ses scénarios avaient été mal tournés. Il a réalisé six longs métrages au total (outre un premier court métrage) :
《珠拉的故事》Story of Zhula (2000)
《心跳墨脱》 Xintiao motuo (2003)
《送礼》,《阿呆》et《迷网》ne sont, à ma connaissance, pas sortis de Chine.
Ce serait peut-être des films à découvir
(2) Cela rappelle un autre film, une co-production germano-mongole - « Lhistoire du chameau qui pleurait » ou 《哭泣的骆驼》- qui raconte une histoire très semblable.