Trois réflexions sur le « Chung Kuo. Cina » dAntonioni
Ce film est un documentaire remarquable par son principe de base : filmer pour montrer et non pour démontrer. Du coup, il échappe aux critiques qui ont accusé Antonioni de naïveté pour navoir filmé que ce quon avait bien voulu lui montrer
Sil est une chose que le film montre remarquablement bien, cest justement la finesse de perception du réalisateur, et la profondeur de lattention portée aux détails.
1. La séquence tournée sur la place Tiananmen, au début de la première partie, comporte une introduction musicale qui est à elle seule représentative de latmosphère dans lequel baigne la Chine du film.
http://www.youtube.com/watch?v=dZidMv1SH7Y
Les paroles sont très simples : cest un quatrain qui se répète ad libitum. Elles ont été écrites, en 1970, par un jeune garçon de douze ans, Jin Guolin, et la musique fut composée par une jeune Shanghaïenne de dix-neuf ans, Jin Yueling. Celle-ci entra dailleurs au Conservatoire central de musique en 1977 et fit une brillante carrière, mais, en 1970, elle navait pour seule formation musicale que ce quelle avait appris dans une chorale denfants.
Le chant fut publié en septembre 1970 dans un journal qui sappelait « Les chants des gardes rouges » et devint populaire après avoir été diffusé à la radio. Pendant la Révolution culturelle, il faisait partie du programme quotidien des écoles ; il y était chanté après lInternationale et lOrient est rouge.
Il a été depuis lors arrangé avec toutes sortes daccompagnements et pour toutes sortes doccasions.
我爱北京天安门, Jaime la place Tiananmen à Pékin,
天安门上太阳升, Sur Tianan men se lève [tel]le soleil,
伟大领袖毛主席, Notre grand leader le président Mao,
指引我们向前进。 Qui nous guide dans notre marche en avant.
version enfants http://www.youtube.com/watch?v=w08XAZH13Wc&NR=1
version officielle http://www.youtube.com/watch?v=8KdguOEHj28
2. La séquence du taijiquan sur la place a quelque chose de fantastique et donirique :
http://www.youtube.com/watch?v=q7rCK9uRAvE&feature=related
Cest une image de la Chine dalors, pourrait-on dire : des rues poussiéreuses, peuplées dombres frappées dun étrange mutisme, qui semblent avoir été hypnotisées, et dont on se demande quand elles vont bien pouvoir se réveiller de ce songe halluciné et hallucinant
3. Les séquences filmées à la campagne, dans le Henan, relèvent dune autre sorte dhallucination. On est presque gêné de suivre la caméra dans ces villages où les gens sont visiblement apeurés ou mal à laise à la vue des étrangers, restant comme pétrifiés dans des encoignures de portes quand ils ne se faufilent pas à lintérieur. On est surtout sidéré de constater de visu ce que lon sait par les statistiques : lincroyable boom démographique de ces années-là.
Etonnamment, une vidéo amateur de la même année 1972 que son auteur a intitulée « Une mémoire visuelle de la Chine populaire en 1972 », dont la deuxième partie est filmée dun train partant de Pékin vers le sud, offre une image totalement différente : un paysage de champs et de villages quasiment déserts comme si lapproche du train avait brusquement fait fuir tout le monde.
http://www.youtube.com/watch?v=_IpTN0GPLVg&NR=1
Finalement on ne sait trop où est la réalité, ou sil en existe une. Chacun semble avoir la sienne.