Stanley Kwan revisité
Pour la dernière séance, cette année, de son cycle « De lécrit à lécran », lInstitut Confucius de luniversité Paris Diderot programme vendredi 24 juin un film de 1994 de Stanley Kwan adapté dune nouvelle de Zhang Ailing : « Rose rouge, Rose blanche » (《红玫瑰白玫瑰》).
Cest non seulement loccasion dapprofondir et la nouvelle et le film, et den analyser les rapports (1), cest aussi celle de faire le point sur la carrière dun réalisateur qui a connu une petite baisse de régime ces dernières années, mais dont on continue despérer le meilleur.
Stanley Kwan (关锦鹏 Guān Jǐnpéng) est né en 1957 à Hong Kong. Son père étant mort lorsquil avait treize ans, sa mère dût assumer la charge de la famille. Stanley Kwan a donc grandi dans un environnement essentiellement féminin, conditions familiales qui ont influencé sa vision du monde et des relations humaines, ainsi que les thèmes et personnages de ses films.
Premières armes, troisième vague
Après des études de journalisme et sciences de la communication, il a décroché un diplôme en communication de masse au Hong Kong Baptist College. Parallèlement, passionné de cinéma, au grand dam de sa mère qui ny voyait quune perte de temps et dargent, il sest éveillé au troisième art avec les films populaires qui passaient à Hong Kong dans son enfance, puis sest nourri des films de la Nouvelle Vague française et des films japonais de la même époque, Truffaut et Ozu en tête. Cest le second, surtout, qui la influencé, par ses peintures de la famille et des relations familiales, et il partage cet amour pour Ozu avec Hou Hsiao-hsien (侯孝贤), qui lui a rendu hommage en 2004 dans son film « Café Lumière » (《咖啡時光》).
Stanley Kwan a commencé à travailler à la chaîne de télévision TVB. Il sest dabord inscrit au cours dart dramatique de la chaîne, véritable pépinière dacteurs doù sont sortis, entre autres, Chow Yun-fat, Tony Leung Chiu-wai et Andy Lau. Mais il a vite abandonné lambition de devenir comédien et opté pour le métier dassistant réalisateur. Il a commencé comme assistant de Dennis Yu (余允抗) en 1979, puis sest formé en travaillant sur des téléfilms et des séries télévisées avec les futurs grands réalisateurs comme Ann Hui et Patrick Tam. Il les suivit lorsquils quittèrent la télévision à la fin des années 1970 et participa alors à ce quon appelle la Nouvelle Vague du cinéma de Hong Kong dans les années 1980, ou plutôt à la Troisième vague, comme lui-même préfère le dire (2).
Il est en marge dun cinéma qui a toujours privilégié laspect commercial et les succès populaires, en évitant les sujets politiques ; doù la prédominance des films de genre, thrillers, comédies, films de kungfu et autres, parce quil est généralement admis quil y a une demande pour ce genre de films. Les cinéastes comme Stanley Kwan ou Wong Kar-wai ont eu beaucoup de mal à simposer dans ce cadre ; ils ont pour cela fait appel à de grands acteurs, très connus, sachant que cétait la condition première pour pouvoir créer ensuite un style personnel et exprimer un point de vue différent.
Années 90 et jusquen 2005, les années dor
En 1996, son documentaire « Yang ± Yin » (《男生女相》), histoire très personnelle du cinéma chinois vue sous langle de « la confusion des sexes », a marqué un tournant dans sa carrière. Cest le reflet à la fois, selon ses propres dires, de « sa réflexion sur son éducation et son contexte familial, sa carrière cinématographique, son orientation sexuelle et son identité en tant que Chinois vivant dans une colonie britannique ». Le film est construit à partir dune série dinterviews de grands réalisateurs, John Woo, Tsui Hark, Hou Hsiao-hsien, Tsai Ming-liang, Ang Lee, etc Il y a même glissé un mot de sa mère.
Il y révélait son homosexualité tout en annonçant ses films suivants, surtout « Lan Yu » (《藍宇》), qui est sans doute le film le plus troublant quil ait réalisé : une histoire damour entre un jeune étudiant en architecture et un homme daffaires, avec pour toile de fond les événements de Tiananmen (1989).
Par ailleurs, bien quil se défende de sintéresser à la politique, en filigrane dans son uvre est la question de la rétrocession de Hong Kong et des rapports de lancienne colonie britannique avec la Chine continentale, question quil considère de façon ambivalente comme tous les Hongkongais de sa génération : dune part, la Chine est ressentie affectivement comme la mère patrie, dun autre côté la rétrocession entraîne des réflexes dangoisse et de défense dune culture plus libérale et ouverte que celle du continent.
Cest une relation ambiguë, partagée entre lamour et la haine, dont les premiers souvenirs remontent chez Stanley Kwan à son adolescence. En effet, ses parents ont immigré à Hong Kong avant 1949 ; tous les deux simples travailleurs, ils avaient un grand amour pour leur patrie, et pour Mao dont son père écoutait des enregistrements avec émotion, ce qui le rendait furieux.
Lune de ses originalités est davoir réussi, dans ses films, à faire des relations entre ses personnages des emblèmes de la situation de Hong Kong et loccasion dune réflexion sur le sujet, et ce, dès « Red Rose, White Rose », en 1994 (1).
Après 2005 : traversée du désert
Malheureusement, depuis 2005, Stanley Kwan semble manquer dinspiration et traverser un pan de désert. Le film « Showtime » (《用心跳》), le premier depuis « Everlasting regrets », présenté au festival de Shanghai en juin 2009, a déçu et les critiques et le public. Même le directeur de la photographie Christopher Doyle, dhabitude excellent, semble atteint du même syndrome. Le problème viendrait du scénariste, Jimmy Ngai (魏紹恩), qui a commencé à travailler avec Kwan en 1998, pour « Hold you tight » (5).
Son nouveau film, en préparation, est une adaptation dun roman du célèbre bloggeur/romancier de Shanghai Han Han (韩寒) (6), intitulé « Son pays » (《他的国》) et publié en janvier 2009. On ne sait pas encore grand-chose du film, sinon que lactrice principale est déjà choisie : il sagit de Zhou Dongyu (周冬雨), la jeune actrice révélée par Zhang Yimou dans son dernier film « Hawthorn tree forever » (《山楂树之恋》).
Mais pourquoi avoir choisi le roman de Han Han ? Parce que cest une histoire damour, répond le réalisateur, et que cela a toujours été son sujet de prédilection, dune manière ou dune autre. Comme dans « Rose rouge, Rose blanche », il y a deux femmes en jeu Mais on ne sait pas quel est le scénariste.
On aimerait bien pouvoir annoncer la sortie du désert.
Cinématographie sélective :
- 1985 : « Women » (《女人心》), premier film, avec Chow Yun-fat, Cherie Chung, Cora Miao, grandes vedettes de lépoque quil avait connues à la télévision, et qui avaient eu un grand succès lannée précédente dans une adaptation par Ann Hui dune nouvelle de Zhang Ailing : « Love in a fallen city » (《倾城之恋》). Stanley Kwan débutait avec un succès de taille au box-office.
- 1987 : « Rouge » (《胭脂扣》Yānzhī kòu ) adapté dun roman de Lilian Lee, avec Leslie Cheung et Anita Mui. Une histoire damour surnaturelle, mais surtout tragique : à Hong Kong, en 1934, deux amants se promettent de se suicider en même temps, mais lhomme est incapable de tenir sa parole la femme revient le chercher cinquante ans plus tard
- 1992 : « Centre Stage » (《阮玲玉》), avec Maggie Cheung dans le rôle de Ruan Lingyu (阮玲玉), grande star du cinéma de Shanghai dans les années 1930, disparue tragiquement en se suicidant à 24 ans. Stanley Kwan analyse en particulier les circonstances qui ont entraîné son suicide, et fait un portrait tragique de femme détruite par le conformisme social et la rumeur publique.
- 1994 : « Red Rose, White Rose » (《红玫瑰白玫瑰》), adaptation de la nouvelle de Zhang Ailing (1)
- 1996 : « Yang ± Yin » (《男生女相》), documentaire résultant dune commande du British Film Institute pour les cent ans du cinéma, et doublé dun second : « Personal memoir of Hong Kong ».
- 1998 : « Hold you tight » (《愈快乐愈堕落》)
- 2001 : « Lan Yu » (《藍宇》), adapté dun roman publié anonymement sur internet en 1997, sous le titre « Beijing Story » (3), avec Liu Ye (刘烨) et Hu Jun (胡军) dans les rôles principaux.
- 2005 : « Everlasting Regrets » (《长恨歌》), daprès le roman de Wang Anyi (王安忆) « Le chant des regrets éternels » (4), sorti à la Mostra de Venise.
- 2009 : « Showtime » (《用心跳》) , avec Hu Jun (胡军), ainsi que Carina Lau (刘嘉玲), Li Bingbing (李冰冰), Tony Leung (梁家辉), etc Filmé par Christopher Doyle. (5).
- 2011 : projet en cours - adaptation dun roman de Han Han (韩寒) (6), intitulé « Son pays » (《他的国》).
Notes
(1) Voir lanalyse comparée de la nouvelle et du film :
et les détails de la séance du 24 juin à linstitut Confucius :
http://www.chinese-shortstories.com/Actualites_46.htm
(2) La Première Nouvelle Vague est constituée par les réalisateurs qui travaillaient à la TVB à la fin des années 1970 : Ann Hui, Patrick Tam, Yim Ho, etc.. Ils ont alors tourné des téléfilms en 16mm que lon peut cependant considérer comme de véritables uvres cinématographiques. Cest à partir du moment où ils quittent la télévision, au début des années 1980 que lon parle de Première Vague.
Dans les années 1980, une Deuxième vague » est aussi issue de la télévision, mais les réalisateurs sont moins connus : les producteurs recherchaient de nouveaux talent et étaient prêts à donner leur chance à des jeunes frais émoulus des studios de télévision.
Les réalisateurs de la Troisième vague, quant à eux, dont Stanley Kwan et Wong Kar-wai, ont été formés auprès de ceux de la première, le premier comme assistant réalisateur (surtout dAnn Hui), le second comme scénariste (notamment pour Patrick Tam).
(3) Daprès Stanley Kwan lui-même, lauteur était une femme, vivant à New York ; le roman était un mélodrame très explicite, allant jusquà décrire la revanche de la femme de lhomme daffaires ; le réalisateur a adapté le récit en se concentrant sur lanalyse de la relation entre les deux hommes ; lauteur aurait protesté.
(4) Sur Wang Anyi et ce roman :
http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_WangAnyi.htm
(5) Voir la critique de Derek Elley : http://www.filmbiz.asia/reviews/showtime
(6) Sur Han Han, voir http://www.chinese-shortstories.com/Auteurs_de_a_z_HanHan.htm