« Sauna on Moon » : confus mais éblouissant, bravo Yu Lik-wai… et Wang Lei !

Publié le par brigitteduzan

Grâce à la Cinémathèque, on a pu voir hier à Paris le seul film chinois en compétition au festival de Cannes le mois dernier, à la Semaine de la Critique : « Sauna on Moon » (《嫦娥》) de Zou Peng (邹鹏).

 

Le film provoque et intrigue dès les premières images : un lapin blanc (1) court entre les jambes d’un dormeur dénudé aux côtés d’une femme itou, tandis que, par la porte fenêtre ouverte, pénètre un poulet caquetant, poursuivi par un jeune garçon trempé : il tombe dehors une pluie diluvienne. L’homme se réveille et chasse tout le monde…

 

Le décor est posé, le rythme aussi, rapide, presque haletant, avec des images (caméra à l’épaule) qui semblent prises dans le même mouvement. On attend la suite avec intérêt.

 

Un scénario insuffisant  et confus

 

Malheureusement, la suite n’est pas vraiment à la hauteur de ce début en fanfare. Il est vrai que l’on peut savoir gré à Zou Peng de ne pas avoir voulu faire un scénario linéaire. Il a dit lors d’une interview qu’il n’avait pas voulu raconter une histoire mais traiter un sujet (话题不重故事).

 

Fort bien. Le sujet ? La prostitution dans la Chine d’aujourd’hui. Et ce sujet, il l’aborde dans la région chinoise la plus prospère, celle qui a lancé le mouvement de réforme et d’ouverture, la région du delta de la rivières des Perles (珠三角地区), et plus particulièrement à Macao, la ville des casinos.

 

L’avantage est que la prostitution y apparaît sous des jours bien plus reluisants qu’au Shanxi, par exemple (2), ce qui va dans le sens du discours de Zou Peng. Il a vécu treize ans dans la région, où il était parti étudier… la mode (3) ; et de la mode à la prostitution, il a dû glisser quelque part, bref, il s’est retrouvé avec des amies dans le milieu, joyeuses et sympa : un « sujet » en or à traiter.

 

Le problème est que, non seulement il manque une histoire, mais le sujet est mince, ou plutôt la manière dont il est traité est mince : centré sur un brave monsieur Wu, qui, manager du sexe car le sexe est une marchandise comme une autre, a monté un « sauna » dont les affaires périclitent en raison de la crise économique (dont on entend quelques échos à la radio). Comme, en outre, Zou Peng a voulu déconstruire son récit, sa caméra nous balade d’une séquence à une autre, sans qu’on arrive vraiment à comprendre où il veut en venir. D’ailleurs on ne le sait pas plus à la fin, et cela rend les derniers moments très longs : on a l’impression qu’il n’en finira jamais, ce qui est le propre des histoires sans histoire…

 

Il y a pourtant des moments de grâce, dans ce film. Il montre en particulier fort bien comment une jeune ouvrière dans une fabrique de vêtements peut, par lassitude, et si elle a un minois sympathique, se retrouver sur la voie de la prostitution. C’en est sans doute la partie la plus intéressante. Mais il y a aussi tout un côté ironique et fantaisiste, avec des séquences très drôles de formation militaire du personnel au bord de la mer, chansons à l’appui. Le « sujet » est ainsi traité par moments comme une sorte de comédie musicale, avec des séquences légères et enlevées.

 

L’impression que l’on garde en sortant, cependant, est une impression de vide, qui est peut-être, effectivement, ce que devrait susciter le « sujet ». La prostitution n’est pas quelque chose de nouveau en Chine, elle est juste un peu plus sordide qu’avant à cause de la course à l’argent actuelle. Mais le propos est mince.

 

Finalement, ce qui sauve (partiellement) le film, ce sont les images et la bande son. Et là, le film nous en donne plein la vue et plein les oreilles : formidable !

 

La photo de Yu Lik-wai et la musique de Wang Lei

 

Yu Lik-wai  (余力) signe la photo avec son éclairagiste habituel, Huang Zhiming (黄志明). C’est l’équipe qui a tourné, entre autres, « In the mood for love » (《花样年华》) et « 2046 » avec Wong Kar-wai (王家) : ce sont d’immenses artistes.

 

En outre, ils sont de Hong Kong : la rivière des Perles, c’est chez eux, on a le sentiment qu’ils sont heureux de filmer là, ils nous font sentir la moiteur, la beauté et la laideur à la fois du lieu, comme si le « sujet » était reflété dans cette ville offrant deux facettes opposées selon l’angle sous lequel on la regarde, mais de toute façon ville chinoise - aucune trace de passé colonial, on n’est pas là pour faire du tourisme. Il y a la ville moderne et sa ligne d’horizon brisée par la fameuse tour, et les dédales de la ville populaire, les prostituées alternant entre les deux.

 

Mais ce sont surtout les séquences montrant la vie des prostituées, dans le sauna et chez les clients, les plus réussies : filmées en couleurs flash, avec une séquence formidable de pseudo défilé de mode, sur catwalk au milieu d’une piscine, qui est en fait le feu d’artifice final du manager Wu, on le comprend en le voyant pleurer, ou du moins on croit le comprendre. Mais à ce point-là, on a perdu toute envie de tenter de comprendre, on se laisse choyer par les images… et la bande-son.

 

Car la photo est accompagnée d’une bande-son parfaitement en ligne avec elle. Elle est signée du maître actuel de la musique électro chinoise : Wang Lei (王磊). Définition réductrice d’un compositeur qui allie dans sa musique des sonorités de musique traditionnelle à un « minimalisme électro ». Cela donne une musique éthérée qui convient particulièrement au thème de Chang’è, envolée dans la lune, tout en contredisant la dureté présumée du « sujet », et rejoignant le message que Zou Peng a dit vouloir transmettre : qu’il connaissait des prostituées heureuses…

 

 Notes :

(1) Ce n’est pas, comme le dit une critique, parce que c’est l’année du lapin, mais un clin d’œil à la légende. Le titre du film fait en effet référence à un conte chinois très populaire, Chang’e s’envole dans la Lune [] (嫦娥奔月), qui raconte comment la jeune Chang’e (嫦娥), ayant avalé la totalité d’un élixir d’immortalité dérobé à son mari, s’est envolée dans la Lune d'où elle n’est jamais redescendue. Elle y a pour compagnons d’infortune un jeune homme condamné, pour pouvoir revenir sur terre, à couper un cannelier qui repousse indéfiniment, un crapaud et… un lapin : lapin lunaire ou lièvre de jade (月兔/玉兔).

(2) Voir « Blind Shaft » (盲井) de Li Yang (李杨) :

http://www.chinese-shortstories.com/Adaptations_cinematographiques_LiuQingbang_Le_puits.htm

(3) Zou Peng est originaire du Dongbei. Sur son premier film « Dongbei Dongbei », réalisé, justement, après être revenu chez lui après les treize années passées au Guangdong : voir l’article du 16 février 2009

 



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