Pourquoi les Chinois ont bien aimé « Avatar », et leurs dirigeants beaucoup moins…

Publié le par brigitteduzan

Il faudrait toujours se méfier de la formidable capacité des Chinois à trouver des sens cachés partout. Après tout, c’est ce qu’ils apprennent à l’école en apprenant leur langue, dès les premières lignes de poésie. Le film de James Cameron n’a pas échappé au phénomène : alors que la plupart des critiques se concentrent sur les prodiges techniques et les effets spéciaux du film, les Chinois, eux, ont vu dans le scénario une métaphore les concernant directement.

 

Le débat a été lancé par un article posté au début du mois sur le blog d’un journaliste sportif, Li Chengpeng (李承鹏), sous le titre 《阿凡达》钉子户伟大教材, soit : « Avatar » offre des leçons très instructives pour les « maisons clous » ou 钉子户dīnɡzihù.

 

Ce terme de钉子户dīnɡzihù désigne ces maisons qui doivent être démolies, mais que les habitants refusent de quitter ; elles restent donc isolées au milieu d’un no man’s land lunaire après que le reste du quartier a été livré aux bulldozers : de vrais « clous » (钉子) dans le paysage. L’exemple type en est cette maison de Chongqing longtemps restée obstinément accrochée à sa butte de terre au milieu d’un chantier :

http://zh.wikipedia.org/wiki/File:Chongqing_yangjiaping_2007.jpg

 

Pour ceux (comme moi) qui n’ont pas vu le film, il faut expliquer quelque peu en quoi cette histoire de science fiction peut avoir quelque rapport avec la situation des Chinois expropriés dans le cadre de projets immobiliers touchant des quartiers entiers de villes chinoises. Li Chengpeng l’explique au début de son article, avec beaucoup d’humour : en 2154, des hommes débarquent sur une lointaine planète où ils découvrent un minerai rare qui pourrait résoudre la crise énergétique sur la terre ; le problème est que le principal gisement se trouve sous les racines d’un arbre gigantesque qui abrite un clan de la population locale, qu’il s’agit donc de transférer ailleurs pour pouvoir débuter l’exploitation ; la mission diplomatique envoyée par les hommes se heurte cependant à l’obstination des autochtones, qui finissent par prendre les armes pour défendre leur territoire.

 

Li Chengpeng a donc vu dans « Avatar » un « super poème épique sur les maisons clous » ( 一部钉子户史诗般的巨片), l’arbre mythique des Na’vi  représentant pour lui Le clou par excellence - 一枚参天的钉子un ‘clou’ s’élançant jusque vers le ciel - et il en a tiré quelques conclusions humoristiques, mais à peine :

1. Tout le monde croit détenir la justice et œuvrer pour le bien de l’humanité, soit l’accroissement du PIB et l’amélioration des conditions économiques ; il est rageant de voir des peuplades arriérées se ficher de tout cela et, préférant leurs propres critères, refuser d’aller vivre dans des immeubles avec ascenseur plutôt qu’au pied de leur arbre.

3. C’est un problème général, car, qu’on soit chinois ou étranger, on ne peut que partager la même haine pour ce genre de pratique arbitraire (无论中国人外国人都仇恨强行拆迁的事情)- bien que, ajoute-t-il aussitôt, ce soit surtout vrai pour les Chinois(中国人为甚).

2. Au-delà du seul problème des expropriations, il voit dans le film une image emblématique des effets pervers du développement économique à outrance, poussant un peuple à envahir les voisins pour s’approprier leurs ressources quand les siennes propres ont été épuisées.

 

S’ensuit une réflexion générale sur l’anomie du cinéma chinois, un cinéma d’eunuques, dit-il (中国电影就是太监电影), qui n’a plus le courage de s’exprimer sur ce genre de problème, laissant à d’autres le soin de le faire.

 

Evidemment, l’article a eu un succès formidable sur la toile, il a reçu à ce jour plus de 3 000 réponses (qui se bornent cependant dans la grande majorité des cas à une approbation elliptique de deux ou trois caractères). Il a été relayé, le lendemain,  par un autre article, mais beaucoup plus court, d’un des bloggeurs les plus tapageurs de Chine, Han Han (韩寒). Il se trouve que lui-même est menacé d’expulsion, sa maison familiale, dans la périphérie immédiate de Shanghai, faisant l’objet d’une procédure d’expropriation pour construire une usine chimique. Il dit, lui aussi, qu’il ne comprend pas que les critiques chinois jugent l’histoire du film sans intérêt, n’y voyant que des clichés ; ce genre de chose, ajoute-t-il, ne pouvait arriver que sur une autre planète ou en Chine (外星球和中国才可能发生).

 

Alors, quand on nous dit que le film a été retiré des cinémas chinois ce samedi pour faire place à « Confucius », il est possible que les autorités aient été ravies de se débarrasser de ce trublion. Qui reste d’ailleurs visible dans les salles 3D et Imax, il y a tellement peu de monde qui peut s’en payer les billets, ce n’est pas très grave. Cela risque juste d’inciter à se procurer le film au noir.

 

Ceci dit, il faut quand même souligner, par les temps actuels de durcissement des contrôles de tous les côtés, que les autorités ont fait preuve d’une grande mansuétude dans cette histoire : les deux articles sont toujours consultables sur les deux blogs…

 

Celui de Li Chengpeng : http://blog.sina.com.cn/lichengpeng

Celui de Han Han : http://blog.sina.com.cn/s/blog_4701280b0100ghw3.html

 

 



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