« La môme Xiao » : débuts prometteurs pour Peng Tao
Ce premier long métrage de Peng Tao (1) est une heureuse surprise. Le sujet traité peut a priori faire attendre le pire : une petite fille menacée de paralysie par une maladie du sang, dont la mère est morte et le père alcoolique, est achetée par un couple pour la faire mendier. Et ce nest pas tout : le couple est entouré dune mafia qui pratique le trafic denfants et la vente dorganes. Peng Tao filme la campagne chinoise comme un repaire de brigands assoiffés par lappât du gain, et dépourvus de tout scrupule. De ce côté-là, on ne peut sempêcher de penser que le scénario a quelque peu noirci le tableau.
Et pourtant, le film est une heureuse surprise. La raison essentielle est quil refuse tout sentimentalisme, et que les acteurs, tous amateurs et plus vrais que nature, nen rajoutent à aucun moment. Pas une larme nest versée ; la petite fille, en particulier, a le regard vide et la passivité des gens qui ont abandonné tout espoir : privée de ses jambes, elle se laisse porter, dans tous les sens du terme. Ses « nouveaux parents » lont rebaptisée 小蛾子, Xiaoézi, petit papillon (doù le titre anglais du film : « Little Moth »), mais cest un petit papillon aux ailes brisées, que lon pose sur un trottoir pour attirer la compassion des passants. Et ça marche : lachat de lenfant est vite rentabilisé.
Le film est évidemment très dur envers la politique actuelle du gouvernement chinois, ce qui na pas été, évidemment, sans poser des problèmes au réalisateur. Il y a, dans le film, une petite phrase assassine révélatrice qui na certainement pas été du goût des autorités. Quand le couple arrive à « la ville » pour commencer à mendier avec lenfant, il se retrouve dans un réseau mafieux qui sest partagé le territoire et demande des comptes aux nouveaux venus. Lun deux aborde le mari en lui demandant ironiquement - sil aide le gouvernement à « surmonter ses difficultés ». Lautre ne comprend pas : cela signifie tout simplement quil aide ladministration à remplir la tache, qui devrait être la sienne, de subvenir aux besoins des nécessiteux.
Peng Tao, cependant, sest défendu dun pessimisme excessif. Il y a, au milieu de tant de misère et de décrépitude, des lueurs dhumanité, même et surtout parmi les plus démunis. La nouvelle « mère » de la petite fille, Gui Hua, se prend daffection pour elle et finit par la traiter comme sa propre fille. En cachette de son mari, pour lequel la gamine est un gagne-pain dans lequel il a investi mille yuan et quil nest donc pas question de soigner, elle lui prépare les médicaments que lui a donnés lhôpital local, car, bien soignée, lenfant pourrait encore être sauvée.
La petite fille attire aussi lattention dune femme apparemment aisée, qui offre de la prendre avec elle et de la faire soigner. Ce nest que lorsque Xiaoézi, entraînée par un compagnon dinfortune, mendiant comme elle, mais manchot, lui, se retrouve seule à mendier avec lui sur le trottoir pour gagner de quoi manger, quelle la retrouve et lemmène chez elle : dans sa maison bien décorée, elle la fait manger, lui fait prendre un bain, et envoie sa « ayi » lui acheter de nouveaux vêtements. Au cours de la conversation, on devine que cette femme a perdu une petite fille qui ressemblait à Xiaoézi. Elle lemmène enfin à lhôpital ; mais le verdict est sans appel : la maladie est trop avancée, les médecins ne peuvent plus sauver lenfant quen lamputant. Coût de lopération : 100 000 yuan plus les frais dhospitalisation. Une fortune On sait dès lors que la compassion et lintérêt de cette femme ont des limites : à quoi pourrait-il lui servir de payer autant pour se retrouver avec une enfant amputée ?
Comme lécrivait récemment un blogueur sur un site de cinéma chinois :
如果承受不起别人生命之重,不如装作漠不关心
Si lon ne peut pas assumer la charge du sort des autres, il vaut mieux afficher lindifférence.
Commentaire teinté du même réalisme décapant que le film lui-même.
La seule véritable lueur despoir, dans ce film, tient au personnage de Gui Hua. Misérable, maltraitée par son mari, traînant une vie de soumission au malheur, cest la seule qui témoigne un véritable attachement envers la fillette, la seule qui sen occupe avec désintéressement, la seule qui sen soucie encore quand elle a disparu avec le jeune manchot et qui continue, contre vents et marées, à la rechercher.
桂花那样的活菩萨 : Gui Hua, une sorte de boddhisatva vivant, ma dit un Chinois. Tant quil y aura des femmes comme elle, semble dire Peng Tao, il y aura toujours de lespoir.
Le principal reproche que je ferais au réalisateur est son parti-pris de misérabilisme technique. Il saccorde effectivement, comme il le dit, à son sujet, mais limage bouge tellement quelle donne le tournis, en particulier quand la caméra, portée à lépaule dun bout à lautre, suit ses personnages dans la rue ; on en vient à prier le ciel quelle se stabilise un peu. On dirait une vidéo amateur comme on en trouve ces jours-ci sur YouTube. De même, le procédé daller-retour répété sur les visages, dans le plus profond silence, ou les gros plans sur les pieds, à la Bresson, finit par lasser.
On ne peut que souhaiter que les prix glanés par le film dans les divers festivals où il a été présenté aient attiré lattention de producteurs désireux de dépenser un peu plus sur le prochain film de Peng Tao. On se souviendra du nom en attendant.
(1) Peng Tao (彭韬)et non Tao Peng comme lindiquent malheureusement et le générique et le dossier de presse. (Cest une habitude américaine adoptée par Hong Kong de faire précéder le nom de famille chinois du prénom, à loccidentale. Le problème, avec ce système, est quon ne sait plus de qui on parle quand le prénom na quun caractère comme ici).
Ce réalisateur, né en 1974, est sorti trente ans plus tard de lInstitut du cinéma de Beijing. Ses deux premiers films sont des courts métrages : le premier, « Red Snow », en 2002, a obtenu le prix du meilleur court-métrage au festival du film détudiants de Pékin ; le second « Adieu enfance » a également été primé.
Photo de lui (à droite) recevant, des mains de Wang Xiaoshuai, le prix qui lui a été décerné en mars dernier au festival de Hong Kong pour « Little Moth » :
http://www.china.org.cn/features/film/2008-03/28/content_13796930.htm
Note sur le titre chinois :
Le titre en chinois est 《血蝉》xuèchán. Difficile à trouver dans un dictionnaire, cest le nom de la maladie de lenfant, une sorte dinfection du sang qui provoque peu à peu la paralysie des membres inférieurs.
Le titre français est particulièrement inadéquat.