Le « Confucius » de Hu Mei condamné par les puristes avant même sa sortie

Publié le par brigitteduzan

Il faut dire que, pour une cinéaste connue surtout pour ses séries télévisées (1), il faut avoir du cran pour vouloir s’attaquer à un personnage quasiment mythique, élevé à la dimension de saint, dont la pensée, et les sentences qui l’expriment, sont vénérées en Chine et dans la diaspora comme la parole de Jésus ou celle de Bouddha. Vous déviez légèrement de la ligne, et vous êtes aussitôt taxé de sacrilège.

 

C’est bien ce qui se passe dans le cas de Hu Mei, alors que son film n’est même pas encore sorti, et que les critiques s’appuient sur les quelques éléments connus : les acteurs et des bribes de scénario. C’est mince, mais cela a suffi à déchaîner l’ire de la famille et des associations confucéennes un peu partout, sourcilleux comme tout gardien de temple.

 

Le film et ce qu’on en sait

 

Le film est annoncé comme une super-production de 22 millions de dollars, pour laquelle se sont associées deux grosses sociétés de production : le groupe China Film (中国电影集团公司), sous la houlette de Han Sanping (韩三平)(2), et celui de Hong Kong  Dadi Entertainment (大地娱乐有限公司). Qui plus est, le rôle principal est tenu par Chow Yun-fat (周润发), plus connu pour ses rôles dans des films de kungfu ou dans les grosses productions de Zhang Yimou et d’Ang Lee que dans des films d’art et d’essai. Il n’en fallait pas plus pour faire hausser les sourcils : une enquête préalable, l’été dernier, avait montré que les spectateurs chinois auraient majoritairement préféré un acteur du continent…

 

La critique est montée d’un cran lorsque le principal scénariste, Chen Han (陈汗)(3), a tenté de défendre ce choix en expliquant que Confucius vivait dans une époque troublée, celle des Printemps et Automnes, pendant laquelle une myriade d’Etats, petits et grands, se livraient à une lutte sans merci pour tenter de conquérir la suprématie sur leurs voisins. Il déclara donc que le film comporterait pas mal de scènes d’action, et que Confucius ne serait pas présenté sous l’aspect du sage lettré fabriqué par la tradition, mais de manière plus réaliste, comme un personnage vivant et plein d’humour, très bon archer et conducteur de char, et adepte de kungfu par la nature des choses. De quoi dépoussiérer un peu l’histoire.

 

La levée de bouclier de la famille Kong et des puristes

 

La critique est devenue attaque en bonne et due forme lorsque des journalistes ont divulgué un détail croustillant du scénario. Il s’agit d’un épisode de la vie de Confucius qui tient en deux lignes dans les Analectes et que l’on passe d’ordinaire sous silence parce que, outre le fait qu’il est peu explicite, il n’apporte pas grand chose à sa pensée. Lorsqu’on fait un film grand public, l’intérêt n’est pas le même.

 

L’épisode en question se passe alors que, approchant de la soixantaine et lassé de ne pas être écouté chez lui, dans l’Etat de Lu, Confucius décida d’aller visiter d’autres Etats pour tenter non seulement de divulguer sa pensée, mais aussi d’obtenir un poste officiel. Le premier Etat où il se rendit fut l’Etat de Wei. Il eut là un entretien avec l’épouse du duc régnant, Nanzi (南子), célèbre pour son inconduite notoire, allant de l’adultère et de l’inceste à l’intrigue de palais. L’épisode est sobrement relaté en ces termes dans les Analectes :

                « 子见南子,子路不说。孔子矢之曰:“予所不者,天厌之!天厌之! »

                                                                                                                                       《论语·雍也》   

Ce que Séraphin Couvreur a traduit ainsi :

« Le Maître visita Nanzi. Zilu en fut mécontent. Le Maître dit, en prononçant une imprécation :

« Si j’ai mal fait, que le Ciel me rejette ! que le Ciel me rejette ! »         (VI.26)

complétant sa traduction par celle du commentaire de Zhu Xi (néo-confucéen de la dynastie des Song du Sud) :

Nanzi, femme de Ling, prince de Wei, avait une conduite déréglée. Confucius étant arrivé à la capitale de Wei, Nanzi l’invita à aller la voir. Confucius s’excuse d’abord ; puis, contraint par la nécessité, il alla visiter la princesse. Anciennement, celui qui exerçait une charge dans une principauté devait, d’après les usages, faire visite à la femme du prince. Zilu, ne connaissant pas cette coutume, trouvait que c’était une honte de visiter cette femme perverse.

 

On comprend que le scénariste de Hu Mei ait voulu utiliser un épisode qui défrise quelque peu l’image orthodoxe et traditionnelle de Confucius. C’est Zhou Xun (周迅)qui a été choisie pour interpréter le rôle de Nanzi.

 

Ce qui a fait hurler les cercles confucéens, c’est que, selon certaines sources, le scénario prévoyait des scènes plus osées que le texte classique ne le laissait supposer, d’où la publication sur internet d’une lettre ouverte (《公开函》) signée d’une quarantaine d’associations et groupes confucéens de tous horizons rappelant la réalisatrice et à son équipe à leur devoir de respecter et l’histoire et « le saint homme » en évitant de « profaner » son image :   

                “须尊重历史,宜敬畏圣人”..并强调孔子的“圣人”形象不可亵渎..

 

Confucius désacralisé ?

 

On peut avoir des doutes sur une super-production qui présente quelques côtés hollywoodiens, et il est vrai qu’on aurait imaginé Confucius sous d’autres traits que ceux de Chow Yun-fat, plus proches de ceux du grand classique de Fei Mu retrouvé, restauré et présenté au festival de Hong Kong qui vient de se terminer (4). Les premières images du tournage du film de Hu Mei, cependant, laissent penser que le maquillage au moins est parfait :

http://ent.sina.com.cn/m/c/2009-04-11/22442467607.shtml

 

A ces réserves près, il est plutôt sain de porter un œil critique sur les images pieuses, et tenter de décrypter la vérité d’un personnage sous la gangue de l’histoire officielle. Après tout, une relecture de ce genre nous a donné d’excellents films sur le Christ… qui ont aussi été salués par des cris d’orfraie de la part de l’orthodoxie catholique.

 

Les capacités propres de la réalisatrice à traiter un tel sujet restent cependant à démontrer. C’est à cela que tiendra in fine la réussite artistique du film.

 

(1) Hu Mei (胡玫)est née en 1958 à Pékin dans une famille d’artistes : son père était un chef d’orchestre connu, et sa mère une chanteuse. Elle a fait ses débuts comme actrice, puis est entrée à l’Académie du film de Pékin dont elle sortie diplômée en 1982 ; elle est donc de la même promotion que Zhang Yimou et Chen Kaige, elle fait partie de la « 5ème génération ».

Elle a d’abord été affectée au studio « August First » avant de passer à celui de Pékin. Son premier film, 《女儿楼》 (Women’s Chamber) a été salué à sa sortie, en 1984/5, comme le premier film traitant de la vie des femmes après la Révolution culturelle.

En 1987, elle a été élue “中国十大青年导演”: la réalisatrice arrivant parmi les dix meilleurs jeunes réalisateurs, et la première à obtenir ce titre.

Mais elle est surtout connue pour ses séries télévisées, très célèbres en Chine, grandes fresques historiques autour d’un empereur (Wudi ou Hongzheng).

Films :

2002      《芬妮的微笑》     On the other side of the bridge

1992                都市枪手       Gunshot in the city 

1986                《远离战争年代》   Times away from the war

1984                《女儿楼》         Women's Chamber 

CCTV Series :

2006                《乔家大院》 Qiao’s family grand courtyard,                 série en 40 épisodes.

2005                汉武大帝 Han Wudi                                                     série en 58 épisodes.

2004                香樟树   Xiang Zhang Shu

1999                 雍正王朝 Yongzheng Wangchao

 

(2) Voir l’article du 27 janvier 2009

(3) Le scénariste de John Woo pour son dernier film « Les trois royaumes » (ou « Red cliff ») – voir article du 27 mars 2009.

(4) Le « Confucius » de Fei Mu (费穆), intitulé, lui,孔夫子, a été projeté dans le cadre du 33ème festival du film international de Hong Kong  (22/03 au 13/04 2009) . Produit par la Minhua (民华影业公司) en 1940,

il fut conçu et réalisé pendant la guerre à Hong Kong où Fei Mu et son producteur Jin Xinmin s’étaient réfugiés. Longtemps considéré comme perdu, c’est un film en noir et blanc, à la mise en scène d’une grande austérité, qui dépeint le penseur dans une attitude digne et triste. C’est autant un témoignage sur l’époque où il fut tourné que sur Confucius lui-même.

Images du film sur le site du festival : http://www.hkiff.org.hk/eng/film/title/1203.html



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